Dans les forêts de Sibérie est un récit de voyage immobile, mais pas du style de ceux que l’on accomplit les yeux fermés dans son lit ou grands ouverts sur une page merveilleuse. Dans cette odyssée, pas de combat contre les autres mais avec soi-même. Pas de déplacements incessants sur des mers démontées mais d’infimes variations de la lumière enregistrées par un homme assis pendant des heures à la fenêtre.
Ce récit n’est pas non plus un roman policier, une pièce de théâtre, un pneu ou une banane. Mais ça, vous ne voyez pas à quoi cela m’avance de le dire. Tant pis. Il n’est pas loin d’un poème en tout cas. Les métaphores y fusent au détour d’une lente observation de la pluie de juin ou d’un transport en camion sur la glace du lac Baïkal, au point que, parfois, on ne sache plus vraiment où se situe la poésie : dans les images qu’il crée ou dans la vie qu’il mène ?
Partir en ermite, pendant six mois rompre avec le monde et plus précisément avec Paris, qui n’en a pas rêvé ? Qui n’y a pas soupiré en ouvrant fébrilement l’écran de son portable de retour chez lui ? Lui choisit la Sibérie où il avait déjà fait un reportage quelques années plus tôt. Il a trente-huit ans, une femme qu’il aime, des amis, de l’argent, un réseau et une aura : tout ce qui suffirait à la satisfaction ordinaire d’un homme. Il va s’enterrer dans une forêt obscure, ensevelie sous l’humus du ciel huit mois par an, peuplée par des ivrognes toute l’année et des moustiques dès que la neige fond. Ambiance Bon Iver.
Décision admirable car il veut se connaître, apprendre à se réconcilier avec le temps qu’il dit avoir toujours fui en coursant les kilomètres (c’est un écrivain voyageur connu pour ses carnets de route). Décision qui bouleversera sa vie bien plus qu’il ne s’y était préparé.
Peut-être pas aussi envoûtant que L’Usage du monde et certainement moins profond que Les Mémoires d’Hadrien, Dans les forêts de Sibérie vous emportera loin néanmoins, sans savoir si vous aurez envie de revenir... Enfin si quand même, parce qu'en Sibérie, il fait - 33°C de moyenne pendant l'hiver, et qu'il dure huit mois.