Une retraite sur les bords du Baïkal. Loin des villes et des protocoles. Fuir à l'est, jouer à l'ermite le temps de quelques mois, dans une cabane de fortune. Car il est bien question d'une fuite. Sylvain Tesson n'est pas dupe de son entreprise. Il convient qu'il n'est qu'un lâche qui abandonne ses semblables dans un monde trop difficile pour lui. Cette sincérité doublée d'un recul sur lui-même est admirable. À l'éloge du voyage naïf et creux, il a préféré raconter le tragique de l'existence et l'implacabilité de la nature, entière, belle, mais indifférente à l'homme forgé dans les us et coutumes de la société. La Sibérie suspend le temps et force l'homme à se soumettre à son agenda.


Le livre regorge de formules, d'aphorismes en tout genre absolument grisants. Les envolées lyriques se succèdent, jamais pompeuses, les développements philosophiques séduisent. L'auteur digresse continuellement sur la Russie éternelle, peuplée d'âmes perdues en Sibérie.
Il livre ses impressions au jour le jour, dès qu'il sent l'air de la nature pulser dans son corps et réveiller sa plume. Une plume formidable, charpentée du même bois que les cèdres bordant sa cabane, mais aussi railleuse, futée, d'un cynisme bien contemporain. Il la noie parfois dans la vodka ou l'élève au niveau des grands auteurs, seuls compagnons qu'il a daigné emporter avec lui dans ses bagages.


Un journaliste demandait autrefois à Céline si celui-ci recherchait à communiquer une émotion dans ses livres. L'écrivain répondit que non, il voulait juste la faire tenir au papier. Nul ne peux percer les mystères de la Taïga ou répondre à ses chants. Ce livre a eu l'audace d'en capturer les émanations.


Sylvain Tesson est assurément un homme de son époque, avec toutes les contradictions que cela comportent; mais il le sait. Son établi de travail installé au cœur de la foret, il respire à la source le parfum de la nature. L'espace à profusion et la maîtrise du temps libèrent l'inspiration. L'âpreté de la vie au bord du lac la canalise. Une vie dépouillée pour reconstituer un monde.
Un beau roman.


-


Ps : J'ai simultanément lu la version papier et écouté la version livre audio. La voix rocailleuse mais chaude de Sylvain Tesson narre à merveille cette aventure. On a comme l'impression d'établir une relation privilégiée entre lui et nous.

Liverbird
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le 24 mai 2016

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Liverbird

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