Des décors. Des décors à la fois lugubres et intriguants. C'est par ce prisme là que Des anges mineurs m'a interpellé en premier. Des territoires sans âge, faits de steppes monumentales et d'éclats urbains qui ne donnent jamais totalement leur nom. Ambiance mi Stalker mi Dersou Ouzala dans cette Sibérie des grands espaces, tout aussi réelle que mystique, à la fois désert et carrefour des peuples, des chamanes bicentenaires et des voyageurs des confins.
Y erre une civilisation qui n'en est plus une, mais seulement ce qu'il en reste. Formée de neo-pionniers sur une Terre redevenue primitive, sans qu'on sache bien si tout est désormais essentiel ou sans la moindre importance. Il y a comme un chaos latent, une sensation d'après-quelque chose sur laquelle on ne met pas de mots précis tout de suite. La plume de Volodine se révèle en effet très imagée et brûmeuse à la fois, avec un goût pour l'esquisse, les non-dits, les ellipses. C'est un auteur qui raconte moins qu'il ne suggère.
On découvre donc ce monde à tâtons, par micro-récits de 2 à 5 pages, qui semblent indépendants au départ puis finissent par former un puzzle... dont l'image finale gardera malgré tout une part de ses mystères. Un narrateur que je dois tenir secret explique page 95 "J'avais construit des images destinées à s'incruster dans leur inconscient et à resurgir bien plus tard dans leurs méditations ou dans leurs rêves." Et il y a de ça. Ce sont des instantanés fugaces, mais dont la résonnance m'a souvent poursuivi hors des heures de lecture. Ce sont des personnages fugaces, mais qui apparaissent et disparaissent avec la force et la fragilité mêlées d'une flamme de bougie qui vacille.
Se dévoilent alors des fragments d'existence : On évoque ses souvenirs, on attend fébrilement un être cher, on ressasse ses craintes, on prépare un dernier baroud d'honneur. Et puis cette curieuse odeur de brasier politique, par delà la taïga. Une politique à son stade élémentaire et radical, un brasier somme des cendres passées mais aussi des tisons que l'on tente de raviver pour imposer ses idéaux.
C'est donc une oeuvre étrange et hypnotique, plutôt à part dans le paysage littéraire français il me semble. J'ai essayé de garder son mystère intact à travers ces quelques mots, du coup je ne sais pas si ça donne envie, mais en même temps ce serait débile de vouloir expliquer ce genre d'histoire en long en large et en travers. Et puis merde, y'a un crew de grand-mères russo-kazakho-sibéro-mongoles qui manient aussi bien la transformation animale que la carabine, je vois pas ce qu'il y a de plus vendeur que ça.
Bonus : la chanson qui va avec :
FOREST SWORDS - THOR'S STONE
https://www.youtube.com/watch?v=5SE8hH_EZbo