Du génie et de la mise en abyme.
A première vue, bon, voilà, Electre c'est une tragédie antique écrite par un écrivain du XXe siècle.
Mais évidemment, c'est loin de n'être que ça.
Tout d'abord, la mise en scène est extrêmement originale. En plus de l'action à proprement parler (qui est d'ailleurs quasi-absente de la pièce, qui se passe ailleurs et qui n'est que racontée en temps réel ou en flashback), on a droit aux commentaires des protagonistes, à leur vision des choses sur l'histoire, aux critiques et aux débats concernant tel ou tel point. Ce qui est complètement passionnant.
Les personnages sont fascinants. Il y a, tout d'abord Electre, la classique jeune fille rebelle, telle une Emilie ou une Antigone (respectivement Cinna et la pièce éponyme), obstinée, convaincue d'agir pour la justice quitte à tuer le monde entier au nom de la vengeance d'un seul homme, au nom de l'amour. Une héroïne clairement ambivalente, irréductible au rôle de gentille ou de méchante - elle est juste Electre, celle qui s'oppose en silence puis qui éclate, celle dont on ne sait que dire - est-elle une sainte ou une ordure ?
Il y a ensuite Oreste, qui est en fait un jeune homme tout gentil entraîné par sa soeur (Electre), qui tue à l'aveuglette et est très influençable.
Il y a ensuite Egisthe et Clytemnestre, le régent et la reine, l'amant et la femme, le beau-père et la mère, haïs mais au fond, victimes, et au fond, humains, hideux et lumineux.
Et puis il y a surtout des personnages extraordinaires comme le Mendiant, le Jardinier ou les Euménides. Le premier est un peu l'oracle de la pièce, il sait tout, il explique tout, il commente tout. Est-il un dieu ou un mendiant ? Telle est LA question de la pièce le concernant. Le second est surtout intéressant pour son lamento paradoxal sur la Tragédie, l'Amour, et de grandes choses comme ça ; et puis on ne s'attend pas beaucoup à trouver un tel personnage dans une tragédie quand même, même s'il est là depuis Sophocle. Les troisièmes sont des pestes manipulatrices pourtant très réalistes, qui symbolisent le temps accéléré de la pièce, qui sont aussi très drôles. Tout ça ensemble (sans oublier Agathe et le Président, intéressants eux aussi), ça fait une myriade de caractères, de couleurs, de subtilités, et les plus longs monologues sont palpitants.
C'est un classique revisité avec une telle classe, entre profondeur et ironie, légèreté et gravité, c'en est bouleversant. Qui a osé, jusque là, me cacher que Giraudoux était un génie ? Pourquoi ne m'a-t-on pas forcée à le lire avant ? Une honte, vraiment, une honte.