Em de Kim Thuy est un livre qui tente de renouer les fil d'une histoire morcelée, d'une histoire plurielle. J'ai eu la chance de rencontrer l'autrice lors d'un live organisé par Babelio et c'est un femme extrêmement touchante qui s'est présentée à nous. Elle entend faire de "la beauté le meilleur véhicule pour parler de l'horreur". Pari réussi avec ce texte tout en délicatesse qui nous entraine dans le chaos de la guerre.
Kim Thuy écrit sur les orphelins, sur les oubliés de la guerre. Elle tire les fils ténus de leur vie et les tresse pour tenter d’offrir des bribes de réalité. Fruits de l'union de vietnamiennes avec des colons français ou américains, ce sont des enfants métis qui peinent à trouver leur place. Tram, Louis, Em Hömg, qui deviendra Emma-Jade, sont les héros de ce roman fragmenté. Leurs histoires personnelles se mêlent à la grande Histoire, celle qui ravage tout. Tram connaîtra le massacre de My Laï et Em Hömg les avions de l’opération Babylift.
La construction du récit peut dérouter. Les courts chapitres s'enchainent mais sans forcément suivre une trame narrative classique. Progressivement, nous démêlons la pelote d'histoires individuelles qui s’entrelacent. Les destins particuliers des personnages permettent de découvrir une réalité atroce. A travers eux, l'autrice brosse une esquisse de la guerre de Vietnam, ou de la guerre américaine, suivant de quel côté nous nous situons. En fermant l'ouvrage, les nœuds sont dénoués et l'histoire nous apparait dans son entièreté, complexe et douloureuse.
L'écriture de Kim Thuy est d'une grande délicatesse. Elle sait nous dire l'horreur avec une économie de mot. Elle nous a confié, lors du live, chercher à réduire à maximum ses textes, à les alléger. Afin de ne pas rendre son récit insoutenable pour nous lecteur, elle privilégie les moments où elle-même se sent sereine pour écrire. Il y a donc un très gros travail sur la langue et cela se ressent. On touche à une forme de pureté du style qui sert son propos et le rend encore plus prégnant.
Le récit est entrecoupé de passages plus informatifs. L'autrice nous parle de la culture du caoutchouc, de l'herbicide Rainbow ou encore de l'industrie du vernis à ongle qui se développe grâce à la diaspora vietnamienne. J'ai toujours pensé que l'Histoire s’apprenait mieux par les romans et Kim Thuy nous le prouve ici. Elle nous ouvre les yeux sur une histoire que nous connaissons mal et nous apprend énormément de choses. Par son écriture, elle rend hommage aux victimes et offre un lieu de mémoire pour les orphelins de guerre. Le roman s’achève par le décompte des victimes. Après avoir suivi les trajectoires de ceux qui l'ont subi, le bilan chiffré glaçant et impersonnel de l'horreur nous ait présenté. Derrière les chiffres, il y a des individus et cela l'autrice nous le rappelle brillamment.
La lumière reste présente néanmoins. Il y ces mères qui nourrissent d'autres enfants que les leurs mais aussi le personnage de Naomi Bronstein. Philanthrope canadienne, elle fonde à 24 ans une institution pour sauver les orphelin vietnamien en organisant leur adoption. Sa figure traverse le roman, sorte d'ange venue secourir les bébés des rues. Et l'avenir, parfois, de certains orphelins, peu se révéler moins douloureux qu'on aurait cru.