"En finir avec Eddy Bellegueule" raconte une histoire forte : celle des conditions de développement d'un garçon efféminé dans un milieu pauvre, où la misère le dispute à la bêtise et à la méchanceté. Le récit, très cadenassé par une lecture sociologique du monde, est impeccablement tenu, le narrateur ne se permettant aucun débordement, ni de colère ni d'émotion. Mais c'est à mon sens une faiblesse du texte. En troquant "Eddy Bellegueule", ce nom à la fois improbable et extravagant contre "Edouard Louis", un nom comme-il-faut et parfaitement incolore, l'auteur échange une identité assignée contre une identité d'emprunt ; les stratégies de mise à distance (le discours cité systématiquement mis en italiques relève un peu du procédé) finissent d'ailleurs par nous éloigner d'Eddy Bellegueule sans nous rapprocher d'Edouard Louis.
Pourtant, les passages les plus touchants sont ceux où l'auteur réussit à faire parler et comme revivre les siens : l'oncle alcoolique et grabataire, le cousin Sylvain qui ne veut pas retourner en prison, la mère qui lave le cul des vieux, et même le père, pauvre bougre à la main trop leste, et qui aime probablement son fils, entre rancune et maladresse. Bref, si ce jeune auteur n'ambitionne qu'une carrière universitaire, "Edouard Louis" fera très bien l'affaire, mais s'il persiste dans la voie de l'écriture, on lui souhaite d'oser habiter son nom, son incroyable nom : Eddy Bellegueule. C'est un nom de roman.