✩ Sélection mars jury Grand Prix des lectrices ELLE 2020 ✩
Au début, il y a une première histoire, celle de Corentin, « l’enfant du malheur », ballotté de familles d’accueil en hébergements provisoires au gré des humeurs de sa génitrice, jusqu’au jour où celle-ci l’abandonne dans Les Forêts, chez la vieille Augustine, sa grand-mère.
Corentin va y trouver un refuge et de l’affection.
Loin de tout, mais au cœur de l’essentiel, il apprend la vie, la nature et ses cycles qui se raccourcissent quand même beaucoup, se détraquent, mais il y a l’amitié, mais il y a l’amour, un tout qui lui permettra de prendre son envol sereinement pour « la grande ville ».
Là-bas, Corentin se perd entre les lumières d’une ville toujours en mouvement, et le souvenir de ses calmes forêts d’enfance.
Mais il y a les couleurs, le bruit, toujours le bruit, jusqu’au jour DU bruit.
Un bruit sourd, qui lui parvient étouffé, lui qui, replié au plus profond des catacombes, s’est imbibé d’alcool, s’est noyé dans l’euphorie d’une jeunesse impatiente.
Corentin ne le sait pas encore, mais il est désormais un survivant, et le monde tel qu’on le connaissait vient de disparaître, purifié par le feu.
« Le bruit se heurtait au silence des grandes peurs »
Rien, il ne reste plus rien qu’une nature et des corps carbonisés, des pluies acides et des nuages de cendres… et la peur.
Chacun cherche un refuge, et pour Corentin il n’y en a qu’un : les Forêts, et Augustine.
Avec Et toujours les Forêts, Sandrine Collette nous livre presque deux romans, tant les premiers paragraphes concentrés sur l’enfance de Corentin, constituent en eux-mêmes un roman social admirable, notamment par la finesse de la psychologie des personnages.
La rupture narrative et le basculement vers le roman post-apocalyptique n’en sont que plus choquants, tant on s’était attaché en quelques paragraphes à Corentin.
Du moins à celui d’avant le drame, car on comprendra bien vite qu’on ne peut par rester la même personne après « ça » …
Plus proche de Cormac McCarthy que de la fable écolo-romantique de Jean Hegland, Et toujours les Forêts est le roman de la renaissance : celle de Corentin, celle de l’humanité, et celle bien sûr, de la Planète.
L’écriture toujours acérée de Sandrine Collette sert parfaitement le récit, oscillant entre l’aridité du désespoir et les langueurs de la mélancolie, parfois morcelée à l’extrême quand Corentin perd pied, incapable d’appréhender cette nouvelle réalité.
Sandrine Collette joue avec nos nerfs, serre et desserre sa prise jusqu’à une scène finale absolument épique qui m'a laissée à bout de souffle.
Du pur génie.
Sombre, c’est certain le roman l’est, et pire encore, mais il n’est pas l’histoire de la fin, non, au contraire.
Et toujours les Forêt, c’est le roman du commencement : celui de la prise de conscience, le début d’un monde nouveau, où tout est à découvrir, ou tout doit être oublié, et réappris, mais pas la fin: le commencement.
De loin, le meilleur roman en lice jusque là (reste avril) pour le Grad prix des lectrices ELLE 2020, et probablement des rentrées littéraires cumulées de septembre et de janvier.
Foudroyant, et indispensable.
(J'aime les adjectifs).