Pour évacuer tout de suite le point, je n'ai pas vu le film de Verhoeven. Et, après cette lecture, je demeure désireux de le voir. Parce que, à ce qu'on m'en a dit, il comporterait une bonne dose de second degré. Ce qui pourrait s'avérer sympa. Parce que, dans le bouquin, je n'en n'ai pas trouvé une once, de second degré. C'est à prendre à la lettre, pour ce que c'est : une apologie de l'armée, que ce soit pour sa finalité (faire la guerre) ou pour son organisation sociale (la vie en caserne).
Un type bizarre, ce Heinlein : il faut dire qu'il a pu être influencé par une tradition familiale qui voulait que tous les Heinlein mâles fassent carrière dans l'armée. Il devient d'ailleurs lieutenant dans la marine étasunienne, mais, pas de bol, il choppe la tuberculose en 1934 et se voit réformé. Ça a probablement été un drame intime pour lui, là où, pour ma part, ce fut une grande satisfaction, sans, de plus, que je n'ai eu besoin de passer par la case tuberculose. Bref, c'est à la suite de cet événement qu'il est devenu écrivain de S.F. Comme quoi, une vocation, ça tient à peu de chose...
Quand il écrit ce bouquin, il a un peu plus de cinquante ans et on pourrait imaginer qu'il vient de passer une vingtaine d'années à remâcher sa carrière militaire ratée. Mais bon, il y a sans doute aussi une dérive politique manifeste vers des idées réactionnaires, puisqu'à la fin des années trente, il tenta aussi de se lancer dans la politique, en adhérant à un mouvement socialiste californien. Quoiqu'on puisse penser des socialistes californiens, ils sont probablement tout de même à des lieux de ce qui est véhiculé dans ce bouquin. Alors que s'est-il passé pour qu'à la fin des années 50, il arrive à écrire un truc comme ça ? Je suis perplexe : la seconde guerre mondiale (il y a un parallèle évident entre les punaises extraterrestres du livre et les soldats japonais, qui les uns comme les autres sont à griller au lance-flammes dans leurs tanières) ? Le passage du maccarthysme dans les mœurs politiques de son pays ? L'influence de sa troisième épouse, qu'Asimov rendit responsable de son glissement à droite ? Peut-être un peu des trois, en définitive.
Car ce bouquin, il craint grave. Une sorte de Full Metal Jacket, mais sans un soupçon de sens critique. Et, c'est en outre un véritable plébiscite des régimes militaires. Dans la société que décrit Heinlein, seuls ceux qui ont fait un service militaire ont le droit de vote, pour donner un premier aperçu de l'ambiance générale. Les adolescents ont, au lycée, des cours de philosophie morale et d'histoire, très bien relatés et plutôt développés dans le bouquin, mais dont on imagine aisément le contenu. La vie de caserne y est longuement décrite et glorifiée. Le culte du chef est omniprésent, bien entendu, mais l'on apprend tout de même que la contrepartie à l'obéissance aveugle qui est attendue des subordonnés est la responsabilité sans faille dont doit faire preuve le chef. Ce dont pourraient d'ailleurs sans doute s'inspirer un peu nos gouvernants actuels.
Inutile d'en dire plus, je crois. Ce qui sauve le bouquin dans une certaine mesure, c'est d'une part qu'il est très bien construit et écrit. Ce n'est parce qu'on est un gros facho qu'on est nécessairement un mauvais écrivain, les exemples sont légion. Et puis, malgré tout, les passages de pure baston sont tout de même plutôt rares, ce qui ne nuit pas à la qualité littéraire de l'ouvrage. Pour le dire autrement, on est plus sur le registre des brimades exercées par l'adjudant sur la troupe que sur celui de la tripaille répandue sur le sol et sur les murs...
Mais si Verhoeven y a vraiment mis du second degré, le film pourrait valoir la peine.