Où les patronnes de saloon organisent des jeux d'alcool à base de six-coups.
Dans une première partie, on assiste aux pérégrinations d'une demi-douzaine de personnages dans la grande plaine du Midwest. Des cowboys purs et durs, d'anciens ouvriers rêvant d'une ferme, des indiens, une tenancière de saloon et quelques voleurs de chevaux... Certains se croisent, d'autres s'évitent. Mais tous semblent devoir finir par se rassembler dans une petite ville naissante, sans shérif, sans blanchisserie, sans rien d'autre qu'un saloon et des moutons.
Tout cela fait très Lucky Luke et il est légitime qu'en ce moment vous vous demandiez pourquoi j'ai collé un 9/10 à ce roman. C'est - indépendamment de la seconde partie qui est formidable - qu'il existe un ton formidable de liberté et de fantasmagorie dans ces lignes! L'auteur s'attache à des détails insignifiants comme une paire de bottes pour introduire des épisodes poétiques, épiques, formidables. Le tour de force consistant à nous dissimuler ces moments d'anthologie dans un flot d'événements quotidiens les rendant non seulement probables mais en plus nécessaires pour que l'histoire progresse et que la ville s'agrandisse.
Car la seconde partie, sans délaisser les personnages de départ, s'intéresse plus particulièrement à la naissance d'une ville et d'une communauté dans un coin paumé de la pampa de l'Ouest. Cette ville pourrait aussi bien se situer en Patagonie, en Mongolie ou dans les recoins les plus perdus d'Europe du Nord... Peu importe finalement qu'il y ait ici des Peaux-Rouges en voie d'occidentalisation ou d'autres peuples primitif. Ce roman montre la naissance d'une tumeur joyeuse, violente et solidaire peuplée de rustres dans une civilisation millénaire elle aussi joyeuse, violente et solidaire.
Il faut d'ailleurs remarquer la justesse avec laquelle les coutumes indiennes sont abordées : ici pas de volonté historisante ou documentaire. Céline Minard procède par touches impressionnistes : une foire indienne, une attaque furtive sur un clan ennemi, un scalp ou encore une tente à sudation mais tout cela dans différents épisodes, comme au détour d'une histoire plus vaste.
Ce livre laisse la part belle à l'imagination. On y vit dans un monde où la douleur est réelle mais où les efforts deviennent simples et fluides lorsqu'ils sont motivés par un grand projet. C'est finalement dans un ailleurs lointain, distant de nous par l'océan et les siècles, que nous entraîne Faillir être flinguer. L'Amérique telle que l'ont fantasmée tant d'immigrés, une terre pleine, immense et généreuse, où la mort se joue aux dés, où il existe des rivières près desquelles construire l'étable de ses rêves, où les patronnes de saloon organisent des jeux d'alcool à base de six-coups et de portes de saloon, où elles tombent amoureuses et où les Indiens existent toujours.