L’histoire de Jeanne d’Arc, revisitée dans un récit prophétique à la première personne qui mêle allègrement un faux moyen-français potache et des anglicismes anachroniques : voilà, en gros, la promesse de la quatrième de couverture de Fantaisies guérillères, premier roman de Guillaume Lebrun.
La promesse, disons-le tout de suite, est bien tenue : Jehanne, celle qui a marqué l’histoire, n’est ici qu’une des quinze gamines rassemblées dans un pensionnat délirant par Yolande d’Aragon, duchesse qui espère ainsi trouver la perle rare qui pourra accomplir la prophétie annonçant la fin de la guerre de Cent Ans sous l’influence d’une Élue. Yolande se situe quelque part entre Hildegarde de Bingen et Armande Altaï, l’écriture multiplie les pastiches moyenageux de références de la pop culture (j’ai renoncé à compter les réécritures de chansons de Mylène Farmer ou Céline Dion) : bref, on s’amuse bien, dans une espèce de turbulence comique sans temps mort à la Monty Python, avec en plus une petite dimension queer et féministe (comme dans le couvent du Matrix de Lauren Groff, se profile discrètement et brièvement l’idée d’une société féminine coupée des hommes). Mais tout de même, on n’en finit pas de se demander si ce bon délire un peu cacophonique ne va pas finir par être usant, lassant, ou laisser une impression de gratuité un peu décevante.
C’est là que Guillaume Lebrun tire vraiment son épingle du jeu. Non seulement en sachant quand il le faut calmer les chevaux de son écriture foisonnante et folle, pour qu’elle puisse conserver sa tonicité jusqu’au bout ; mais aussi et surtout en faisant évoluer son texte vers des développements plus épiques, voire apocalyptiques. Une dimension parodique y reste certes présente : peuplée de monstres, rythmée par des combats entre les mondes, la deuxième partie du roman ressemble à une partie de Donjons et Dragons ou de Dark Souls sous la forte influence de Lovecraft. Mais le propos semble s’y faire plus sérieux aussi, jusqu’à légitimer la référence du titre aux « Guérillères » de Monique Wittig : la lutte qui s’y joue n’est alors plus celle de Jehanne pour le royaume de France, mais de toute une armée de femmes guerrières contre une puissance masculine qui ne vise rien de moins que leur effacement. Fantaisies guérillères y puise, presque au terme de son improbable et excitante chevauchée, un nouveau souffle à l’aune duquel on peut réévaluer et rejouer à loisir tout le roman, dont l’humour se teinte alors d’une profondeur nouvelle.