Il y a quelques années j'avais lu Sirius du même auteur et je n'en étais pas sortie indemne. Habitée pendant de longues heures par ma lecture je m'étais dit que cet auteur avait fait un coup de maître que seuls les auteurs éprouvés ou certains classiques sont capables de faire.
J'avais vu aperçu la couverture de Félines sur les rayonnage d'une bibliothèque du sud provençal et c'était comme si mon cœur se souvenait encore de la zébrure que le roman précédent lui avait infligé, tant et si bien que j'ai mis bien longtemps avant de me décider à le lire.
Ce moment est venu cette année.
Le roman raconte l'histoire de Louise. Est-ce véritablement une histoire? Le doute est présent dès le début de l’œuvre puisqu'elle prend la forme d'un témoignage retranscrit par un auteur qui se fait passeur de voix. Louise raconte sa vie à cet auteur et dès les premières pages nous comprenons que Servant joue avec les codes du roman témoignage, à valeur documentaire. Lui et l'auteur à qui s'adresse Louise se confondent presque et nous voilà dans une magistrale et poétique mise en abyme.
Louise est une adolescente comme les autres dont les comportements évitent les écueils de l'héroïne parfaite et dont l'honnêteté tranche avec l'idée que l'on se fait de ce genre de personnage dans la "teen literature". Imparfaite et tenace, elle va se forger un caractère, au travers d'un accident d'abord (je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Frida Kahlo) puis au travers d'une certaine Mutation qui atteint toutes les adolescentes en âge de procréer. Ces dernières se transforment en chattes. Au travers de cette transformation, Servant évoque de vrais problèmes bien ancrés dans notre société contemporaine : la haine de la différence, la pauvreté (d'argent mais aussi de culture), les préjugés, les extrémismes politiques et religieux, le viol, la bêtise humaine en somme.
Le roman se lit avec une grande fluidité, aucun temps morts ne vient rendre la lecture lourde ou ennuyeuse. Servant parvient à mêler poésie et réalisme avec une grande finesse. Les personnages dépeints ne sont pas caricaturaux : au contraire, ils sont la parfaite représentation de la labilité humaine, de notre capacité à évoluer, à changer au cours d'une vie.
Même si l'oeuvre est traversée par des thèmes complexes et sombres, elle amène à réfléchir. Je trouve ce roman moins pesant que Sirius beaucoup plus noir. Les deux romans parlent de survie mais là où Avril est seule, Louise est entourée. Certes elle fait preuve d'indépendance mais le collectif triomphe dans Félines ce qui laisse des notes d'espoir.
Je ne peux que vous recommander chaudement de le lire, S. Servant est un auteur de qualité et surtout un merveilleux conteur.