Feuilles d'herbe
7.7
Feuilles d'herbe

livre de Walt Whitman (1891)

Il y a Walt Whitman qui pose les mots sur une feuille en rêvant. Qui les dispose avec soin, qui griffonne, efface, barre, reprend. En rêvant. Le rêveur de Manhattan et de l’Amérique à pieds nus.

Et moi cent cinquante années plus tard qui lit les mots du poète d’un œil absent, la tête en l’air, rêveur perdu dans les rêves d’autre chose qui est ailleurs et j’en perds le fil.

Alors il y avait Walt Whitman qui offrait tout son corps et son amour à la musique de ses mots. Le vagabond américain par tous les coins et tous les âges chantait la gloire de son pays. Plus largement l’immensité grandiose de l’humanité vénérée plus ardemment qu’un Dieu.

Si loin était un Dieu jamais renié. Aimé comme on aime l’autre. Aimé comme Whitman aime le monde qui l’accueille.

Moi cent cinquante et une année plus tard ouvrant au hasard les pages d’un recueil épais comme un bottin, l’infini chant des terres arides de l’Amérique, des villes natives, de l’essor fabuleux de l’île urbaine. Et mon cœur soudain qui bat divinement mieux.

Il y a Walt Whitman qui jette avec véhémence les termes sur le papier vierge, qui le saccage à ravir avant d’ordonner miraculeusement cet univers natif, à la gloire de sa cité qui pousse pousse pousse le ciel.

Naissent et s’imposent les images suggestives de l’ébullition de l’être. Rêvait un poète au pouvoir de projection absolu, créateur de vie palpable, immortelle. Car cent cinquante et une année plus tard, bien après le passage du voyageur, je côtoie les citadins embarqués sur le bac et suis couvert de l’ombre du grand pont de Mannahatta.

Alignés sur ces pages anodines sont les plus grands chants de l’Amérique et la croyance des hommes bons et beaux. Entre ces lignes à la verve démente niche l’essence de l’homme qui croit en l’homme, le prophète célébrant camarades et inconnus sans distinction.

Il y a un solitaire en balade, ses mots qui sont un fleuve intangible, qui sur leur passage entraînent quiconque y trempe les doigts curieux.

Il y a l’œuvre sauvage du passionné amoureux.

L’utopie tangible, crédible d’un monde vrai et de vrais gens qui tous épanouissent la grande épopée du peuple humain.

Il y a une lecture du revenir, une forme d’addiction qui amène l’étrange question : ne plus lire que ces textes emplis de vérité, encore et encore, à quoi bon chercher ailleurs quand tant de vies ont été dissimulées ici, offertes à qui saura chercher avec amour ?

Il faut une vie pour lire Whitman.
-IgoR-
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le 18 févr. 2015

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-IgoR-

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