Je trouve que les critiques du livre ont l'avantage de bien y préparer. Certains lecteurs, qui détestent ne pas comprendre et voue à une haine indignée les textes qui ne se mettent pas totalement à leur portée, ceux-là risquent de se heurter à un mur. Avec Borges, il faut savoir être humble. Cet écrivain est souvent décrit comme obscur, compliqué, pédant et cela traduit à mon sens une certaine incompréhension de ses procédés. Les références de Borges sont pour beaucoup inventées ou erronées. Finalement, cette débauche de pédanterie à un but tout corporel et émotionnel : la sensation d'être dépassé, de nager en plein mystère, qu'il y a des choses qui nous échappent. Le but est de nous offrir une révélation mystique, un sentiment de grandiose. Toutes les idées essentielles sont à la portée de chacun, ce sont des mises en situation, des métaphores filés. Quant au style, il est remarquablement dépouillé, comme un texte religieux, et comme lui, avec une certaine affectation. Divers procédés comme l'ellipse ou l'hypallage sont employés. Borges choisit des adjectifs incongrus qui peuvent être à eux seuls un motif d'admiration. Le but de tout ceci est de faire éprouver un sentiment qui ébranle les hommes. Le mystère est là, en bas de chez soi, au coin de la rue, dans l'expression indéchiffrable de l'être aimé, dans un miroir qui ne renvoie pas le bon reflet, ou qui offre un regard à des puissances obscures. Les labyrinthes ont la forme de nos existences. Finalement, Borges est le plus romanesque des écrivains.