"Pas d’enquête, pas de droit à la parole. Vous n’avez pas fait d’enquête sur un problème, et on vous prive du droit d’en parler. Est-ce trop brutal ? Non, pas du tout. Du moment que vous ignorez le fond du problème, faute de vous être enquis de son état actuel et de son historique, vous n’en sauriez dire que des sottises. Et les sottises, chacun le sait, ne sont pas faites pour résoudre les problèmes". Voilà une citation de Mao Tsé Toung qui, je le crois, constitue une bonne illustration de l'intérêt que présente ce bouquin.
Il faut dire que Gendrot a payé de sa personne : deux ans de sa vie consacrés à la police. Formation accélérée d'abord, affectation à une cellule psychiatrique ensuite, et, enfin un poste, durant quelques mois, dans un commissariat du 19ième arrondissement de Paris. Voilà un gars qui sait de quoi il parle. D'autant que son bouquin reste très proche du terrain : une succession de tranches de vie, relatées les unes après les autres dans de très courts chapitres. Avec de rares digressions à caractère plus globalisant, en écho à l'actualité - chargée, c'est peu dire - de la crise que connait de nos jours l'institution policière en France. Quoiqu'il en soit, c'est infiniment plus pertinent que les innombrables discours et commentaires de nos politiciens sur le sujet, qui n'ont probablement jamais mis les pieds dans un quelconque local de police. Sinon au cours d'une visite officielle, en vue de laquelle tout avait été préalablement lustré et astiqué. Voire à l'occasion d'une audition ou d'une mise en examen, pour laquelle l'accueil réservé différait certainement notablement de celui réservé au commun des mortels, surtout s'il est basané, noir ou porte un gilet jaune.
Oui, il a payé de sa personne le Gendrot. Car c'est glauque, que dis-je c'est même glauquissime. Comme dans toutes les organisations de travail, la police possède son jargon. Son jargon et ses pratiques, bien éloignées de ce qui est prescrit par la hiérarchie. Pratiques dont le socle est constitué d'une discipline sans faille et d'un esprit de corps à toute épreuve. Il a ainsi assisté à plusieurs situations que l'on peut assimiler sans aucun doute à des bavures. Et il a contribué à les couvrir. Il a été en cette occasion auditionné par des enquêteurs qui ont fait preuve de la plus grande mansuétude envers ceux mis en cause. Il a croisé du cow-boy, du fonctionnaire planqué derrière son bureau, de la hiérarchie préoccupée avant tout par ses indicateurs chiffrés que les interpellations de vendeurs à la sauvette font grimper. Il a bossé dans des locaux pourris et conduits des véhicules bons pour la casse. Il s'est confronté plusieurs mois durant à un racisme que j'oserais qualifier de systémique (du moins à l'échelle du commissariat) et a vu la parole policière se lâcher sans fard sur le groupe Whatsapp de sa brigade.
Ce qu'il en ressort, en définitive, c'est l'extrême misère matérielle, intellectuelle et éthique de ceux qui furent ses collègues durant quelques mois. Pas forcément de mauvais bougres au départ. Et, rarement, la police vue comme une vocation : nombre de ces flics de base ont galéré, essayé auparavant d'autres boulots. Ils ont probablement vu la police comme une manière d'accéder à un emploi stable et non précaire, dans la seule administration qui en France voit ses effectifs augmenter et non diminuer. Leurs centres d'intérêt principaux sont les bagnoles, le sexe, les sports de combat et pour certains d'entre eux les armes. Et une fois qu'ils y sont, dans la police, la routine, la pénibilité du boulot, la discipline et l'esprit de corps font qu'ils adoptent plus ou moins rapidement les us et coutumes de la maison Poulaga. Et tant qu'ils s'y tiennent, personne n'ira leur chercher de poux dans la tête. A moins que leur conscience ne s'en charge, et, dans les cas les plus extrêmes, ne les conduise au suicide.
Vous l'aurez compris, il s'agit d'un bouquin plombant, fort heureusement très court (près de 300 pages, mais c'est écrit très gros). Qui met en évidence le fait qu'il existe un problème de fond dans la police française et qui résonne douloureusement en écho de l'affaire Zecler. Affaire qui s'inscrit, mais alors parfaitement, dans l'ambiance restituée par Gendrot. On pourrait finalement en retenir l'image de pauvres types exploités et utilisés par un pouvoir qui les instrumentalise à des fins politiques et n'a guère plus d'autre alternative - pour sauver ses fesses - que de les caresser dans le sens du poil, à défaut de vouloir leur donner les moyens qui leur permettrait de se comporter de manière plus conforme à l'idée que l'on peut se faire de la police d'une démocratie.