GB 84
7.6
GB 84

livre de David Peace (2004)

Reconnu comme un des épisodes les plus violents et les plus longs du mouvement ouvrier anglais, la grève des mineurs de 1984-1985 apparaît aussi comme un moment charnière de l’histoire sociale britannique. L’événement modifie en effet la place des syndicats dans le paysage politique. Il marque la victoire de l’idéologie néo-libérale, faisant basculer définitivement le rapport de force dans le camp du gouvernement conservateur. Il ouvre enfin les portes à son ersatz : le New Labour.

Opposé aux fermetures des mines pour des raisons autres que l’épuisement de la ressource ou la sécurité, Arthur Scarhill, leader de l’union nationale des mineurs, par ailleurs marxiste notoire (il se revendique même stalinien), impose le blocage des fosses pour faire pression sur le gouvernement de Margaret Thatcher en le privant du charbon nécessaire aux centrales électriques.

Très suivi dans le Yorkshire, région directement menacée par les fermetures, le mouvement ne s’étend que mollement aux autres mines. En fait, la grève est déclarée illégale dès le début, le syndicat n’ayant pas vraiment procédé à un vote dans les règles. Ceci permet aux pouvoirs publics d’user de la force sans aucune retenue, les affrontements avec les mineurs se soldant par de nombreux blessés et trois morts.

Au bout d’un an, privée de ses fonds par la justice, minée (désolé) par les dissensions, abandonnée par le parti travailliste et les autres syndicats, l’union nationale des mineurs finit par décider de reprendre le travail. Les puits sont démantelés selon le plan prévu. Des communautés ouvrières entières, déjà à bout de force après une année sans salaire, basculent dans la misère.

David Peace s’empare de cet évènement, faisant des faits la matière de son roman. Un récit à plusieurs voix dont les échos nourrissent la tragédie. De la base au sommet, des coulisses du conflit à l’avant-scène, ces voix décrivent un paysage de guerre civile où tous les coups sont permis, sous prétexte de défendre la démocratie. Provocations accomplies par des forces irrégulières dont les effectifs sont recrutés dans la lie de l’armée, histoire d’envenimer la situation. Intimidation et chantage contre les grévistes, mais aussi contre les jaunes. Espionnage, violence policière, passage à tabac, des méthodes dignes des dictatures, mais présentées de manière partiale par des médias à la solde du pouvoir. Manipulation, pression financière contre les grévistes, réduction des aides sociales, saisie des placements du syndicat, mise à pied des mineurs condamnés sommairement pour trouble à l’ordre public. On reste accablé devant l’arsenal déployé pour casser le mouvement, pour alimenter la paranoïa de ses membres, entretenir la peur et la désunion syndicale. Pour autant, David Peace n’oublie pas de pointer les zones d’ombre de l’union nationale des mineurs, minées par le culte de la personnalité et les luttes internes entre factions.

Pour toutes ces raison, la lecture de GB 84 me paraît essentielle. Toutefois, il convient d’avertir le lecteur. Le dispositif narratif de David Peace n’est pas aisé à suivre. L’auteur britannique entremêle deux trames. L’une, ordonnée de manière chronologique, alterne les récits de deux mineurs, Martin et Peter. Ces histoires livrées brut de décoffrage, souvent coupées en plein milieu de phrase par l’autre trame, nous permettent de vivre la grève au plus près. Leur style direct, factuel, n’écarte cependant pas l’introspection. Espoir, rage, lassitude, découragement, sentiment de défendre une cause perdue d’avance et dépression se succèdent jusqu’à la défaite finale sur fond de haine, de matraquages et de charges policières. Une violence froide et âpre, sans fioritures esthétisantes, qui assèche les larmes, bouscule les certitudes et laisse sans voix.

L’autre trame, plus éclatée, nous dévoile les coulisses du conflit, tant du côté du syndicat que de celui du pouvoir et de ses seconds couteaux. Terry, le Juif, le mécanicien, Malcolm le spécialiste mélangent leur voix dressant un tableau accablant. Celui d’une guerre de tous contre tous.

David Peace impulse une tension permanente. On est littéralement pris à la gorge, en proie au malaise, malmené par le style obsédant et répétitif de l’auteur. C’est viscéral, heurté, syncopé, hypnotique. On pousse avec les grévistes pour empêcher les jaunes d’entrer. On prend des coups et on en donne aussi, aux côtés du mécanicien et des autres sbires au service de l’État. À l’instar du Juif, on admire la Dame de fer et on peste contre les défaitistes, les capitulards. Si le syndicat est l’ennemi, il apparaît aussi comme le salut. L’ultime bastion contre l’individualisme. À la condition de ne pas céder aux vices privés, aux querelles internes, à la psychose et à la folie.

Au final, GB 84 n’apparaît pas comme une lecture agréable et divertissante. C’est plutôt un roman qui vous imprègne pour très longtemps. Certains le trouveront insupportable. À titre personnel, je le trouve juste magistral.
leleul
9
Écrit par

Créée

le 18 oct. 2013

Critique lue 395 fois

3 j'aime

leleul

Écrit par

Critique lue 395 fois

3

D'autres avis sur GB 84

GB 84
bilithys
5

"Chien mort de faim"

"Electricité... Lumière crue de station-service. Vendredi 13 janvier 1984... Elle porte une cigarette à ses lèvres, un briquet à sa cigarette. Chien mort de faim devant chez son maître... Il guette...

le 24 mars 2014

1 j'aime

GB 84
regish
8

1984 comme si on y était

Comme à son habitude, David Peace réussi à nous immerger dans son monde : celui de l'Angleterre des années Thatcher : froide, violente, où tous les coups sont permis. Une période ou le contexte...

le 3 sept. 2011

Du même critique

Knockemstiff
leleul
8

Critique de Knockemstiff par leleul

Knockemstiff. Le nom claque sec comme un coup de cravache. Dans cette bourgade typique de l'Amérique profonde, perdue au fin fond de l'Ohio, dans un coin paumé où même Dieu ne retrouverait pas son...

le 12 avr. 2013

9 j'aime

1

Gueule de Truie
leleul
2

Critique de Gueule de Truie par leleul

L'espoir fait vivre dit-on. On a envie de le croire, même si cet espoir fait plus souvent mourir comme en témoignent les nombreuses idéologies et croyances prônant un monde meilleur. Et si le...

le 27 févr. 2013

8 j'aime

1

Efroyabl ange1
leleul
9

Critique de Efroyabl ange1 par leleul

La mort récente de Iain M. Banks m’a beaucoup attristé. Par un hasard tragique, elle coïncide à peu de choses près avec la parution dans l’Hexagone de Feersum endjinn, roman intraduisible aux dires...

le 25 juin 2013

7 j'aime