Reconnu comme un des épisodes les plus violents et les plus longs du mouvement ouvrier anglais, la grève des mineurs de 1984-1985 apparaît aussi comme un moment charnière de l’histoire sociale britannique. L’événement modifie en effet la place des syndicats dans le paysage politique. Il marque la victoire de l’idéologie néo-libérale, faisant basculer définitivement le rapport de force dans le camp du gouvernement conservateur. Il ouvre enfin les portes à son ersatz : le New Labour.
Opposé aux fermetures des mines pour des raisons autres que l’épuisement de la ressource ou la sécurité, Arthur Scarhill, leader de l’union nationale des mineurs, par ailleurs marxiste notoire (il se revendique même stalinien), impose le blocage des fosses pour faire pression sur le gouvernement de Margaret Thatcher en le privant du charbon nécessaire aux centrales électriques.
Très suivi dans le Yorkshire, région directement menacée par les fermetures, le mouvement ne s’étend que mollement aux autres mines. En fait, la grève est déclarée illégale dès le début, le syndicat n’ayant pas vraiment procédé à un vote dans les règles. Ceci permet aux pouvoirs publics d’user de la force sans aucune retenue, les affrontements avec les mineurs se soldant par de nombreux blessés et trois morts.
Au bout d’un an, privée de ses fonds par la justice, minée (désolé) par les dissensions, abandonnée par le parti travailliste et les autres syndicats, l’union nationale des mineurs finit par décider de reprendre le travail. Les puits sont démantelés selon le plan prévu. Des communautés ouvrières entières, déjà à bout de force après une année sans salaire, basculent dans la misère.
David Peace s’empare de cet évènement, faisant des faits la matière de son roman. Un récit à plusieurs voix dont les échos nourrissent la tragédie. De la base au sommet, des coulisses du conflit à l’avant-scène, ces voix décrivent un paysage de guerre civile où tous les coups sont permis, sous prétexte de défendre la démocratie. Provocations accomplies par des forces irrégulières dont les effectifs sont recrutés dans la lie de l’armée, histoire d’envenimer la situation. Intimidation et chantage contre les grévistes, mais aussi contre les jaunes. Espionnage, violence policière, passage à tabac, des méthodes dignes des dictatures, mais présentées de manière partiale par des médias à la solde du pouvoir. Manipulation, pression financière contre les grévistes, réduction des aides sociales, saisie des placements du syndicat, mise à pied des mineurs condamnés sommairement pour trouble à l’ordre public. On reste accablé devant l’arsenal déployé pour casser le mouvement, pour alimenter la paranoïa de ses membres, entretenir la peur et la désunion syndicale. Pour autant, David Peace n’oublie pas de pointer les zones d’ombre de l’union nationale des mineurs, minées par le culte de la personnalité et les luttes internes entre factions.
Pour toutes ces raison, la lecture de GB 84 me paraît essentielle. Toutefois, il convient d’avertir le lecteur. Le dispositif narratif de David Peace n’est pas aisé à suivre. L’auteur britannique entremêle deux trames. L’une, ordonnée de manière chronologique, alterne les récits de deux mineurs, Martin et Peter. Ces histoires livrées brut de décoffrage, souvent coupées en plein milieu de phrase par l’autre trame, nous permettent de vivre la grève au plus près. Leur style direct, factuel, n’écarte cependant pas l’introspection. Espoir, rage, lassitude, découragement, sentiment de défendre une cause perdue d’avance et dépression se succèdent jusqu’à la défaite finale sur fond de haine, de matraquages et de charges policières. Une violence froide et âpre, sans fioritures esthétisantes, qui assèche les larmes, bouscule les certitudes et laisse sans voix.
L’autre trame, plus éclatée, nous dévoile les coulisses du conflit, tant du côté du syndicat que de celui du pouvoir et de ses seconds couteaux. Terry, le Juif, le mécanicien, Malcolm le spécialiste mélangent leur voix dressant un tableau accablant. Celui d’une guerre de tous contre tous.
David Peace impulse une tension permanente. On est littéralement pris à la gorge, en proie au malaise, malmené par le style obsédant et répétitif de l’auteur. C’est viscéral, heurté, syncopé, hypnotique. On pousse avec les grévistes pour empêcher les jaunes d’entrer. On prend des coups et on en donne aussi, aux côtés du mécanicien et des autres sbires au service de l’État. À l’instar du Juif, on admire la Dame de fer et on peste contre les défaitistes, les capitulards. Si le syndicat est l’ennemi, il apparaît aussi comme le salut. L’ultime bastion contre l’individualisme. À la condition de ne pas céder aux vices privés, aux querelles internes, à la psychose et à la folie.
Au final, GB 84 n’apparaît pas comme une lecture agréable et divertissante. C’est plutôt un roman qui vous imprègne pour très longtemps. Certains le trouveront insupportable. À titre personnel, je le trouve juste magistral.