"Je ne veux pas être ajusté à l'environnement, je veux que l'environnement soit ajusté à nous. Je dis "nous" à titre de pluriel, car je me sens parfois très seul."
Il arrivera toujours un moment dans la vie où un être humain ressentira l'influence des autres comme une injonction pesante à ne plus être lui-même. C'est un fait, nombre de thérapies modernes tournent autour de cette idée. L'idéal du "revenir à soi" est bien ce qu'il est : un idéal, en tant qu'impossible à atteindre.
Dans "la Promesse de l'aube", le narrateur allongé dans le sable souhaite dès les premières pages que le banc de mouettes tout proche fonde sur lui et l'entoure d'un amour infini. L'amour paraît toujours comme un remède évident au mal-être, surtout quand on ne l'a pas, mais que se passe-t-il quand celui-ci ne peut se trouver chez un autre être humain ?
Gros-Câlin, c'est le nom du python qu'adopte Michel Cousin, homme désespérément seul qui décide de s'affranchir des limites du désir humain pour s'aventurer du côté animal. Évidemment, cela ne va pas plaire à la société.
Le livre rejoint la structure d'autres ouvrages de Romain Gary, à savoir de luttes contre l'impossible, de quêtes épiques et désespérées qui donnent du sel à la vie. Mais Gros-Câlin va prendre une direction inhabituelle, car nous ne sommes plus avec Gary, nous sommes désormais avec Ajar. Cette fois-ci (ou plutôt une fois encore), ce sera la vacuité de la vie de "l'homme moderne" qui sera mise en valeur. Ce sera la banalité du quotidien, si par banalité l'on entend "abandonner ses désirs les plus profonds pour suivre un idéal de vie qui n'est pas le sien".
Gros-Câlin a le goût de la décrépitude, celle qui prend les hommes enfermés dans leurs certitudes depuis trop longtemps. Cela aurait pu être acide, poétique et satirique à la fois. Finalement c'est juste répétitif et je n'y ai rien trouver à en retirer. Le narrateur ne parle que de lui-même pendant deux cents pages. "Lui-même", au sens que pas un seul instant il ne va réellement s'intéresser à ce dont sont fait les autres, comme certains personnages le lui feront remarquer. Sauf que l'amour se fait à deux, et sera toujours une question de deux. Jamais une question de Un, comme il le souhaite terriblement.
Ne rien demander aux autres, et attendre de ces derniers qu'ils nous aiment en retour, est bien un comportement impossible. Et à ne jamais agir, le livre en devient ennuyeux, bien loin d'une promesse de l'aube ou de racines du ciel riche en péripéties, riche en vie, où derrière la trame se dessinait les multiples variations de l'amour impossible.
Gros-Câlin c'est juste un disque rayé, cela tourne en boucle, cela reste sur les nœuds au lieu d'essayer de les dénouer, comme si les nœuds avaient quelque chose d'esthétiquement appréciable.
J'ai lu des critiques disant que ce livre était très drôle. Je l'ai trouvé très triste car derrière le vernis d'absurdité du livre se cachent des réflexions ô combien sérieuses. Peut-être m'apitoierais-je un petit peu trop sur le sort de Cousin, ce qui a rendu cette lecture un peu trop sérieuse et désagréable. Je pense que c'est surtout parce qu'il touche à mon point d'insupportable, à une situation que je déteste entrevoir : assister à la déchéance d'une personne extrêmement seule, empêtrée dans ses problèmes, et creusant toujours plus, sans qu'aucune idée d'espoir ou d'amélioration puisse exister.
J'exagère très certainement la chose, mais après tout, c'est de mon avis qu'il est question ici. Disons que je préfère quand Gary donne une structure plus romanesque à ses écrits, quand le mouvement de l'histoire est propice au déferlement de passions. L'intrigue de Gros-Câlin est trop maigre, trop répétitive, trop nouée.
Vous l'avez compris, les remuages de couteau dans la plaie ne sont pas ma tasse de thé. Bien que la situation soit absurde, ce n'est pas pour autant qu'elle m'a fait rire. Vers la moitié du livre cependant, l'histoire prend un tour plus grotesque au fur et à mesure que Cousin prend des cours de ventriloquies ou doit se dépatouiller avec les bêtises de son python. Toujours plus loin dans l'excès et la bizarrerie, le livre mue et prend alors l'aspect d'une farce acerbe sur la solitude de l'homme moderne. Mais là où "Les Choses" de Perec mettait l'accent sur le consumérisme, Gary le fait sur l'impossibilité de communion entre les êtres. Comme s'il fallait qu'ils communient pour être heureux !
Je ne peux nier que le style est impressionnant. Le langage déroulé dans Gros Câlin fonctionne plus par affects reliés entre eux et jeux de langage plus que par arbitraire construction significative. Le tout est terriblement étrange mais très musical. Si Michel Cousin tient sa personnalité de sa parole, celle-ci est tellement excentrique que suivre le fil de celle-ci équivaut à être collé à son être. C'est tout le talent de Gary qui s'expose dans cette écriture : nous coller aux battements du cœur d'un être, en étant le plus près possible de son langage.
Gros Câlin sera donc très émotif. Fait certes habituel chez Gary, mais qui ici trouvera pour moi un aspect plus différent de ses autres livres. Malgré tout l'amour que je possède pour la qualité d'écriture de Gary, je n'ai pas pu aimer Gros Câlin.
Plus exactement, je pense que je ne pouvais pas aimer Gros-Câlin d'Emile Ajar. C'est beaucoup trop Romain Kacew.