Gros-Câlin paraît assez oublié dans l'œuvre de Romain Gary. Pourtant, c'est par ce roman que l'écrivain avait commencé à s'engager dans une nouvelle carrière, celle de plus gros troll de la littérature, en ridiculisant puissance dix mille la soi-disant intelligentsia de l'époque. Non, mais sérieux, Émile Ajar avait la même écriture, la même vision que Gary, s'est vu interprété par le "neveu" de ce dernier (en fait, petit-cousin dans la réalité !), a même écrit un bouquin intitulé Pseudo, et ces abrutis n'ont rien vu. Le double vainqueur du Goncourt se serait promené avec un T-shirt avec inscrit dessus "Je suis Émile Ajar" qu'il n'aurait pas trollé avec autant d'ostentation. Sans parler, à propos de Gros-Câlin (sur lequel je vais me focaliser maintenant !), que l'auteur injecte deux-trois passages qui ridiculisent bien profond la crétinigentsia.
Bon, sous l'apparence d'une fable fantaisiste, à la première personne, d'un type qui adopte un python (qui mue dans une autre peau, comme celui qui tenait le stylo !), auprès duquel il trouve de l'affection, il s'agit du portrait d'une solitude, au cœur de la géante métropole parisienne, Michel Cousin, statisticien de son état, qui, en se faisant sans arrêt des films dans sa tête (notamment en ce qui concerne une belle collègue guyanaise avec qui il s'invente une romance !), en se refusant à se remettre en question, en n'y pensant pas du tout à vrai dire, en ayant recours aux méthodes les plus maladroites pour aller vers les autres, en ne s'y intéressant pas réellement, regrette d'être isolé tout en se complaisant de cet état insatisfaisant (peut-être, en partie, comme mécanisme d'autodéfense face à la froideur de notre société !)...
Ouais, avec comme toile de fond la solitude du mâle frustré, bien moyen, dans un cadre urbain et contemporain, Gary-Ajar fait le portrait d'un être médiocre autocentré, mais flamboyant dans sa médiocrité (je n'ai pas pu m'empêcher de m'y attacher, car il est (trop !) proche de nous pour qu'il en soit autrement !)... Oui, l'auteur de La Promesse de l'aube ne peut que ressortir l'extraordinaire qu'il y a en chacun de nous, médiocres ou moins médiocres. C'est ça une des grandes forces de sa littérature, aimer, aimer le plus petit être vivant, y compris le plus insignifiant, le rendre important.
Le tout est agrémenté de quelques réflexions bien avant l'heure sur l'écologie (ce n'est guère étonnant de la part de celui qui a donné le magnifique Les Racines du ciel !) et, au détour d'un paragraphe, le Monsieur, de son milieu des années 1970, se permet de prophétiser l'IA en tant que remplaçant dans le monde professionnel.
En ce qui concerne le style, par l'intermédiaire de phrases parfois longues, parfois courtes, de nombreux barbarismes, de nombreuses métaphores, il adopte une oralité donnant l'impression d'être dans l'esprit d'une personne saisie constamment de folie douce, dissimulant un mal-être profond.
Hélas, de temps en temps, ça s'emberlificote un peu trop dans des circonlocutions m'as-tu-vu qui ne font que surcharger gratuitement, sans rien apporter, si ce n'est quelques lourdeurs de lecture. Cela s'engouffre aussi un peu trop dans un humour quelquefois lourdaud, en plus d'être répétitif (ça valait le coup d'insister autant, vers la fin, sur le protagoniste se lavant ou se faisant continuellement laver le cul au bidet ?).
Reste que, globalement, l'acuité du regard de Gary-Ajar sur ce qui l'entourait, sur ce que nous sommes, saupoudrée d'une poésie fantasque et humaniste pour mieux faire avaler la pilule, fait encore une fois mouche.