Tolstoï mélange le roman et l'essai historique pour constituer une œuvre à l'ampleur démesurée où les histoires de personnages fictifs et réels s'entrecroisent, celle des Napoléon, des, Koutouzov mais aussi des Bolkonsky, des Bezoukov et autres Rostov.
Parler de l'Histoire avec un grand H par le biais des histoires réelles ou inventées, c'est un moyen que l'on retrouve dans le genre du roman historique où l'Histoire sert de cadre à une ou des histoires constituant la narration du roman. Mais ici l'auteur russe, s'il écrit un roman historique, a aussi la volonté d'y adjoindre (et non pas d'y mélanger, tant la distinction est bien présente par le chapitrage et par la forme) des réflexions personnelles sur l'Histoire, les historiens, la guerre et autres thématiques susceptibles d'analyse.
Tolstoï remet en cause la vision héroïque de la guerre mais aussi le fait que les choix, les causes et les conséquences ne découleraient que de la volonté des "grands hommes" (comme Napoléon ou l'empereur Alexandre). Pour lui les causes sont plus nombreuses, plus implicites aussi, plus tributaires d'un état d'esprit de masse que de choix conscients d'individus au pouvoir. Bien sûr l'homme de pouvoir dirige, mais cette possibilité d'influence s'estompe à mesure que le conflit prend de l'ampleur sur le terrain. Pus on est éloigné du champ de bataille plus notre champ d'action se restreint.
On peut-être d'accord avec l'auteur ou non mais il a le mérite d'étayer et de justifier toutes ses théories, que j'ai ici grossièrement synthétisé, sur la guerre et l'Histoire, même si je trouve qu'il y a un peu trop de répétitions et que certains chapitres auraient pu être de fait plus concis.
Quant au roman on y trouve bien sûr toute la force de TolstoÏ à peindre des personnages intéressants et qui évoluent continuellement tout au long de l’œuvre, qui il est vrai se déroule sur un grand nombre d'années. Le cheminement de Pierre en est l'exemple le plus frappant.
Les atermoiements amoureux de Natacha constituent aussi un bon exemple, démontrant par ailleurs que les personnages secondaires (et féminins par la même occasion) n'en sont pas réellement, ou ne sont en tout cas pas laissés de côté.
Et ce même si je trouve que Anna Karénine constitue l'aboutissement du talent de Tolstoï à faire vivre ses personnages au fil du récit, Lévine étant le personnage ultime de l’écrivain russe.
Au delà des ces minuscules reproches sur la longueur et la comparaison désavantageuse avec Anna Karénine, il n'en demeure pas moins que La Guerre et la Paix est un chef d’œuvre de la littérature russe (encore un !), une fresque colossale où le talent de romancier et les réflexions personnelles de l’écrivain de génie, qui se fait essayiste pour l'occasion, s'entremêlent avec brio.
Le travail a du être titanesque, la qualité est là, et le plaisir de lire un bon roman et de réfléchir en compagnie d'un homme intelligent aussi !