Et c'est la spirale hallucinogène, la déréliction du langage, la perte prise, le lâché des lois autre que celle propre au ciboulot de Ferdinand, autocrate en son royaume de papier. Partons tantôt aux rues de Londres en temps de guerre, en temps de fuite du régiment, en temps fastes des vauriens. Parlons maquereaux et petites frappes, catins épuisées et marchés prospères, caniveaux et halls de gares. Tremblez méninges embourbés du mic-mac sidérant de ce zouave salopard de Ferdinand. Il ne respecte plus rien. Non qu'il n'ai eu quelques réserves...fut un temps...celui du voyage au bout de la nuit et de la mort à crédit. Il se modérait alors, Bardamu, il coupait passablement le vin de sa rage littéraire, cherchait l'équilibre instable, le bord gémissant du gouffre...brèves concessions au commun, tacite entente de publieurs frileux, râleurs, empêcheurs de pester en rond, de se salir consciencieusement les pages...minutieusement...mû par un sadisme fiévreux, apparente volonté jouasse de mal faire. C'est un art solitaire et unique que cet agencement mesquin de viles saloperies en un tout compact, rêveur, entortillé de maudite cohérence, jamais perdu, jamais trompé ni désorienté...pourtant bravement amoché, trimbalé à travers Londres d'ellipses en faits divers, de digressions en mémorables bagarres. Ha! Quelle époque! La grande et belle époque, du pognon par paquets, la grande bouffe à l'oeil, les amis de coeur qu'on adule un temps. Pas longtemps. Jusqu'à la prochaine débandade, car les gens ne sont pas beaux chez Bardamu, prêts à tout pour un shilling...ya plus de copains qui tiennent...à l'eau la franche coquette...on règle les comptes à la grenade...sauvages...mais on n'a qu'eux. Eux ou la guerre, il faudrait y retourner, la grande étriperie. On entend encore ces échos, réminiscences tremblantes de la fournaise du voyage, la nuit partout, l'alpha. Guignol, c'est la perte du fil ténu de la raison, l'explosion égotiste de sérénité convaincue, le dégueulement gluant du fiel corrompu...sûr de lui Ferdinand, sûr des autres en ceci qu'ils ne valent tripette...au diable les peut-être, au feu les à-peu-près...qu'importe les anicroches hésitantes d'éditeurs honnis, frileux, pleureuses...y trouveront leur compte ceux qui le méritent, le grand Bardamu, le prince des crasseux...vaille que vaille. Démesure...plus de mesure...c'est le discours d'un roi. Avec tout ce que ça implique d'auto-satisfaction assumée...de liberté grandiloquente aussi, jouissive, exultante, unique. C'est un avènement, celui hier annoncé de la petite formule de Louis-Ferdinand. Triturée, peaufinée, écrémée, elle fera des émules et quantité de bouquins...de quoi dégobiller sans relâche une existence démesurée...de quoi catégoriser l'inclassable, emprisonner Bardamu en sa propre liberté, en ses moyens se moquant de ses fins, piégé à son propre collet. Il y a du génie partout...chez les fous terrorisés, les violents apeurés, les salauds que l'on pleure sitôt leur chapitre fermé...du coeur, du corps, la vie frémissante, incontrôlable, audible, assimilable...c'est peut-être un calvaire, un chemin de croix...pour qui? Lui, Ferdinand, semblerait y faire pénitence...il en jouit pourtant dirait-on, il en redemande, se ressert, se gave, encore, encore, plus de lui, plus de Londres, plus de fous, plus de dépravation...triste sir...mais drôle! Si souvent. Un bizarre humour. Le sien propre, intouchable, reconnaissable entre mille. Sacré farceur Ferdinand. Il s'applique. La déverse est feinte, la fluidité le prix d'heures de retouches, d'époilement maniaque...faut-il savoir ajuster! On ne l'arrête plus une fois lancé...comme drogué...comme grisé de lui-même, de ce trop-plein de folie...un échauffement, une mise en jambe, un aperçu grisé de la cité londonienne...la suite arrive...Céline en voulait trois! Quatre! Va pour deux. Mais balèzes. C'est un début. Mais quel début, la débandade, la grosse plongée, la fin des compromis. Le même Céline en mieux! En pire! En plus! Chacun en fera ce qu'il veut, s'y trouvera ou pas, s'enfuiera ou restera...il s'en moque Ferdinand, il est déjà sur le suivant.