Guillaume le Maréchal par Yananas
A tous égards, Guillaume le Maréchal s’inscrit dans cette lignée des « inconnus de l’histoire », ou à tous le moins, ces personnes n’ayant pas fait l’objet d’une sacralisation ou d’une mythification par la postérité, aux côtés d’Alexandre Yersin ou Joseph Fiévée entre autres. Cet ouvrage fut rédigé pour les besoins de la collection les « Inconnus de l’histoire », initialement fruit d’une émission à Radio France inaugurée par Jean Montalbetti. Georges Duby opère par ce livre un véritable renversement copernicien historiographique. Il s’agit certes de prendre pour point de départ l’événementiel et le biographique – envers lesquels l’école des Annales exerçait la plus grande suspicion –, mais sans pour autant aboutir à une énième redite de ce qui a déjà été si bien étudié par Paul Meyer et Sidney Painter. L’intention de l’ancien Professeur du Collège de France, à l’instar de son autre ouvrage Le Dimanche de Bouvines, est de renouer avec le biographique en le dépassant et en l’insérant dans l’analyse plus anthropologique des mentalités collectives et des structures sociales. Là est donc véritablement son intention : « Je n’écris pas l’histoire des événements. Elle est écrite, et fort bien. Mon propos est d’éclairer ce qui l’est encore très mal, en tirant de ce témoignage, dont j’ai dit l’exceptionnelle valeur, ce qu’il apprend de la culture des chevaliers. Je veux simplement tenter de voir le monde comme le voyaient les hommes » (pp.48-49). Le parti pris de la biographie historique est un outil dialectique permettant de dépasser celle-ci et de la subvertir ; davantage encore, le récit de la vie de Guillaume le Maréchal est une manière pour l’historien de condenser tous les résultats de ses recherches préalables sur les élites médiévales. L’événement et le récit de vie ne méritent donc nullement une lapidation radicale, mais bel et bien une réhabilitation dans un temps long mettant attentif aux structures.
Temps des louanges, temps des suggestions : le dialogue historique procède ainsi, et nous ne saurions en rester à une plate et candide glorification de cet excellent ouvrage. Peut-être eût-il été judicieux de procéder en dernier lieu, et à l’instar du Dimanche de Bouvines, à une décortication de la postérité qu’a léguée Guillaume le Maréchal. Nous pouvons alors ouvertement poser les questions suivantes : Guillaume le Maréchal a-t-il été mobilisé ultérieurement afin de cristalliser l’imaginaire national anglais ? Aussi, les sources françaises mentionnent-elles les exploits du « meilleur chevalier du monde » ? Tous ces éléments auraient mérité d’être intégrés pleinement dans la rédaction de l’ouvrage et auraient pu constituer un ultime chapitre ; car il est vrai que la fin du livre laisse un sentiment d’inachevé. Quoi qu’il en soit, il constitue en fin de compte une référence centrale pour saisir de manière ludique l’identité, les codes et les structures du monde chevaleresque ; lecture stimulante et intéressante à bien des égards, qui mériterait désormais d’être mise comparaison avec la bande dessinée.