Le Paradoxe.
Alors que le premier roman d’Edouard Louis fut (semble-t-il) un succès populaire, déclenchant un torrent d’Amour/Haine à grand coup de polémiques et autres reportages télévisés à l’objectivité toute...
le 27 mars 2016
7 j'aime
1
Autofiction, autobiographie… Peu importe le genre, on ne le devinera pas de toute façon : Edouard Louis, de son pseudonyme continue à raconter une vie, clamée comme la sienne, dans un ouvrage au nom qui se veut à caractère sociologique : Histoire de la violence. L’histoire proprement dite tient en une phrase. Elle raconte le viol de l’auteur par un homme, kabyle d’origine, le soir de Noël, et la réaction de son entourage face à cet acte. Le récit, déconstruit, fait appel aux points de vue de différents protagonistes, sans cesse commentés et corrigés par Edouard Louis. La parole est intérieure, non orale. Le langage sert la désapprobation intime, sur les faits, la morale, mais jamais la contestation ne se fait ouvertement. Edouard Louis est une victime, mais une victime policée. Tout juste explique-t-il à un moment ses convictions concernant la justice et l’incarcération pour exprimer ses réticentes à aller porter plainte au commissariat. Ce qui ne l’empêchera pas de donner une impression factice d’étude froide de son milieu, toujours, mais aussi des différents groupes sociaux auxquels il fait face, police comme médecins. Le fait est que, dans tout le texte, on se trouve bien plus proche du jugement personnel et affectif (compréhensible cependant, de par le statut de victime) que de l’étude sociologique.
Comme pour En finir avec Eddy Bellegueule, les évènements témoignent d’une violente brutalité. Aucun détail n’est épargné. La narration atemporelle, assez intelligente, constitue néanmoins une facilité décelable chez l’auteur, au propos ténu. Elle est d’ailleurs servie par des répétitions abrutissantes de mots, de propos, où quatre à cinq paragraphes s’enchaînent, parfois dans l’incohérence totale de la langue employée, nous servant la même chose à plusieurs reprises. Il faut aimer le matraquage, pour apprécier Histoire de la violence. Quelles idées, formules sortent du lot, approfondissent la réflexion, grâce à des emprunts qui sortent du cadre initial du récit, notamment sur la place du langage dans les situations anormales, dramatiques, ou encore la réflexion sur le rapport au temps et à l’espace, tour à tour déstructurés, puis rallongés. Le parler plébéien qui s’étale dans une bonne moitié du livre est souvent consternant. L’intention derrière est limpide : en faisant raconter par sa sœur Clara ce qui lui est arrivé, Eddy/Edouard peut se désynchroniser de l’acte qui l’a ravagé, tout en lui faisant dire des choses sur la misère, les méchants arabes, et jusqu’où il est un être différent des autres, surtout de ceux parmi lesquels il a grandi. En cela, si Histoire de la Violence ne rompt pas avec En finir avec Eddy Bellegueule, il s’enfonce dans un marasme largement dispensable, qui empêche la totale compassion avec le narrateur. D’autant plus quand la fascination pour Reda, le violeur, fascination datant d'avant le drame, semble basée sur une érotique de l’exotisme, gênante, relativement aux leçons données plus loin sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.
Histoire de la violence, ne manque pas d’authenticité, et il se peut que beaucoup de victimes de viol s’y identifient, malgré sa pénibilité. Les expériences personnelles et suggestives, de par leur force, ont parfois la capacité d’être un départ à des expériences nouvelles, voire des visions changeantes, sur la société, l’autre, le monde, dans son ensemble. À aucun moment Histoire de la violence ne propose un tel programme. Comment, par exemple, le dépôt de plainte a-t-il été envisagé par les amis de Edouard ? Le dilemme aurait mérité d’être plus amplement détaillé, sachant qu’il était question pour Geoffroy de sortir un ouvrage sur la justice. Comment Edouard en est-il venu à avoir finalement peur des maghrébins que lui-même appelle « Arabes » ? Comment s’est-il, ou non, sorti de ses démons, de ses hantises ? Voilà ce qui aurait pu prodiguer des armes de première nécessité aux lecteurs. Par son silence, Histoire de la Violence prouve une certaine impuissance.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2017 : journal de lectures
Créée
le 19 mars 2017
Critique lue 833 fois
5 j'aime
3 commentaires
D'autres avis sur Histoire de la violence
Alors que le premier roman d’Edouard Louis fut (semble-t-il) un succès populaire, déclenchant un torrent d’Amour/Haine à grand coup de polémiques et autres reportages télévisés à l’objectivité toute...
le 27 mars 2016
7 j'aime
1
Histoire de la violence est le deuxième livre d’Édouard Louis que je lis, et je dois reconnaître que comme pour En finir avec Eddy Bellegueule, je suis complètement perdue face à ce roman. Je résume...
le 27 janv. 2016
6 j'aime
5
Édouard Louis est un piètre écrivain et un bon psychologue. Je viens de lire Histoire de la violence, qui est son second livre si l’on excepte ses productions universitaires, et je dois dire que cela...
Par
le 14 mai 2018
5 j'aime
Du même critique
Le passé est une mode inébranlable. Combien de biopics, de regards sur des temps révolues, de modification de l’Histoire, de « c’était mieux avant » ? Des séries en ont fait leur fond de commerce...
Par
le 2 févr. 2017
69 j'aime
11
Il y a quelque chose de rassurant dans le constat qui est fait qu'en 2015, on peut toujours produire et réaliser des films au scénario original, voir que le public y adhère et que des acteurs connus...
Par
le 13 oct. 2015
69 j'aime
9
J'ai eu du mal à trouver les informations à propos desquelles je rédige un tutoriel rapide, autant les partager au plus grand nombre. En espérant aider quiconque entamant la même démarche que la...
Par
le 13 août 2020
65 j'aime
27