Algérie, 16 juin 2018. Orpheline et adoptée par Khadija, Aube ou plutôt Fajr est une jeune femme de vingt-six ans qui porte en elle le secret d’une vie, mais pas seulement !
En effet, Aube est enceinte depuis peu. Le père de son futur bébé vient de tenter sa chance de l’autre côté de la Méditerranée. Dans la pénombre de sa chambre oranaise, Aube va raconter à sa future fille (ce sera une fille, elle en est certaine), les secondes sombres, les minutes dramatiques et les heures tragiques du jour où elle croisa la mort dans un hameau isolé des montagnes de l'Ouarsenis. Une fois délestée du lourd fardeau mémoriel qui hante ses jours et ses nuits, Aube se devra d’avorter, car comment peut-on donner la vie quand la sienne a presque été arrachée ? Affublée d’une cicatrice de 17 cm sous le menton, Fajr est la véritable trace, le plus solide des indices attestant de tout ce que l’Algérie a vécu et subi en dix années de guerre civile. Une période que l’on cache honteusement sous des oripeaux iniques faits de lois et de décrets qui interdisent et emprisonnent quiconque aurait l’outrecuidance de se rappeler de ce qu’était le pays entre 1990 et 2000. Les seuls martyrs que l’on accepte et que les autorités instrumentalisent jusqu’à la lie, sont ceux de la guerre d’indépendance contre l’envahisseur français. Pire, en 2005, le gouvernement décréta la “concorde nationale” donnant aux violeurs et aux assassins de cette décennie sanglante, l’immunité. À condition d’expliquer à la presse, que durant le conflit, ils n’étaient que des cuisiniers dans le maquis, les islamistes se virent réinsérés dans la société. Les survivants quant à eux, n’avaient qu’à se taire et à oublier… Oublier, jamais ! Qu’à cela ne tienne, Fajr la rescapée va nous narrer la nuit funeste où les longs couteaux du FIS, (le front islamique du salut), sont entrés dans son village natal. C’était le 31 décembre 1999, le millénaire en était à son crépuscule, et celui naissant portait en lui de belles promesses. Aube venait d’avoir cinq ans et toutes les étoiles du ciel brillaient dans ses yeux d’enfant. En quelques instants, Taïmoucha sa sœur, ses parents et mille autres habitants de ses collines perdues furent assassinés au nom d’un idéal fallacieux. Au cœur d’un récit à la fois glaçant et plein d’espoir, c’est toute la douleur algérienne que Kamel Daoud focalise sur le sourire cicatriciel d’Aube, que l’auteur nous livre comme un testament.
Mais comment pouvoir aller vers l’avenir, si notre passé nous est interdit ?