Philosophe et essayiste aux convictions libérales, fondateur du mouvement Simple contre la complexité administrative et bref candidat à la dernière élection présidentielle, Gaspard Koenig a abandonné la politique pour une autre façon d’influencer le monde : la création littéraire. Il revient à la fiction avec un roman d’apprentissage sur fond d’engagement écologique, une satire apocalyptique où l’avenir du monde repose sur le sauvetage… des vers de terre…
Ingénieurs agronomes fraîchement diplômés, Arthur et Kevin ont noué leur amitié autour d’une idée commune : le plus grand - mais pourtant le plus ignoré, tant la science du sol et la géodrilogie restent balbutiantes - des désastres écologiques est la disparition des lombrics, première biomasse au monde indispensable à la vie des sols et donc à la production agricole. « Sans vers de terre, plus de terre ». En quelques décennies de productivisme agro-industriel, la fragile couche d’humus constituée au cours de millions d’années d’évolution biologique s’est transformée en poussière infertile que l’on continue d’épuiser à grands coups de chimie. Alors, eux qui n’ont jamais rejoint les rangs des bifurqueurs, ces étudiants de grandes écoles dont les velléités écolo-contestataires produisent à leurs yeux plus de bruit que d’effets, se lancent chacun dans un projet censé exorciser leur éco-anxiété.
Pendant qu’Arthur, le Parisien issu d’un milieu aisé, se met en tête de faire revivre, par l’inoculation de vers de terre, la terre tuée en Normandie par son grand-père agriculteur, Kevin le fils de paysan pauvre crée une petite entreprise de vermicompostage. Dès lors, les rebondissements se bousculent dans un crescendo confrontant leurs idéaux et leurs principes à la réalité. Entre tempêtes amoureuses et financières, les erreurs et les échecs répétés de l’un, l’engrenage du succès en mode start-up pour l’autre, déboucheront sur une troisième voie beaucoup plus violente et désespérée, dans une explosion finale bouclant le tour des comportements, finalement tous voués au fiasco, adoptés par les uns ou les autres face à l’urgence écologique.
Si, soutenu par une documentation qui rend le propos fascinant, le récit fait la part belle à ses petits personnages rampants et méconnus, les « intestins du sol », que l’on ne verra plus désormais du même œil, l’autre grande force du roman est le regard moqueur, qu’avec autant de cruelle lucidité que de vraie tendresse, il porte, sans jamais les juger, sur les différents acteurs de la société. Il faut dire que, créateur d’un think tank et un temps membre d’un cabinet ministériel, l’auteur a fréquenté l’élite et les dîners parisiens comme il a sillonné la France et l’Europe au plus près de ses habitants lors de plusieurs mois d’un périple à cheval. De ce matériau, il tire une satire percutante, n’épargnant ni zadiste, investisseur ou ministre, ni écologie libertaire, éco-frugalité ou greenwashing. Et, tandis que ses observations soulignent sans prendre parti le grand désordre de tous ces tâtonnements qui s’étagent des plus idéalistes aux plus opportunistes et hypocrites, des plus cosmétiques aux plus radicaux et violents, il recentre le débat sur une vision prophétique et, selon sa démonstration, encore très inédite : l’avenir passera par les sciences de la terre ou ne sera pas, n’en déplaise aux uns et aux autres et à leurs différentes manières de réagir face à l’urgence environnementale.
Malgré un final, à y réfléchir pas si invraisemblable, mais quand même très (trop?) spectaculaire, un livre intéressant et original, dont on retiendra les vérités satiriques d’une humanité écartelée, dans sa course folle, entre son confort immédiat et ses craintes d’un avenir menaçant, autant que son exploit inattendu à passionner son lecteur pour les vers de terre.
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