Humus
6.8
Humus

livre de Gaspard Koenig ()

Critique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=6SlGA5qnKAo&ab_channel=YasminaBehagle


La première fois que j’ai entendu parler de ce livre, c’est en zieutant un article de Marianne qui arguait que les listes du Goncourt étaient de plus en plus wokes, la preuve, ce roman parle d’éco-anxiété. (d’ailleurs soit dit en passant, dans cet article, ils accolent le qualificatif de « Victime » pour le roman de Neige Sinno sur l’inceste qu’elle a vécu, ce qui est au mieux très maladroit, et sinon très révélateur de comment les médias envisagent encore ce type de récit). Ce qui est amusant, c’est qu’ils utilisent l’accroche « d’éco-anxieux » pour décrire Humus, alors que par ailleurs, malgré le sujet, ils ont beaucoup aimé, ce qui ne nous étonne qu’à moitié. On expliquera plus loin pourquoi, et en quoi ça prouve quand même que des médias comme Marianne n’ont plus grand-chose à envier au Figaro ou à Valeurs actuelles. En tout cas, ce qu’il faut savoir pour commencer, c’est que classer Humus dans une liste de romans wokes, c’est un peu un contresens. Parce que Koenig, c’est pas n’importe qui.


Donc on peut être a minima méfiant quand à la teneur « éveillée » d’un tel texte. En tout cas, moi, le texte m’a pas déçue, il correspond en tout point à ce qu’un philosophe libéral devrait écrire, coche toutes les cases d’une fable forcée telle que l’entend souvent le milieu médiatique, produit parfait pour être pitché en quelques mots sur les plateaux télé. La recette ? Prendre un sujet de société, grossir le trait, voguer dans la dystopie politique, qui finalement irrigue la doxa des dominants — en gros, la révolution, c’est le mal, le changement, c’est pas maintenant, mieux vaut les bonnes vieilles méthodes (même s’il concède que l’agrochimie c’est pas très bien pour les lombrics) que des modifications trop brutales.

Et pour cela, il choisit deux personnages, deux jeunes gens qui se rencontrent sur les bancs d’une grande école et ont une idée lors d’un cours sur les vers des terre, axer leurs études et leur future carrière sur ces petits invertébrés, de l’or rose qui permet de composter et assainir rapidement les sols. D’un côté Kévin, bel androgyne mystérieux qui se lance dans une start-up de vermicompostage industriel qui va le rendre millionnaire, de l’autre Arthur, néo-rural qui va reprendre la ferme de son grand-père et donner des coups d’épée dans l’eau à vouloir à tout prix la ranimer, puisque les sols sont abîmés à cause des différents pesticides utilisés par les anciennes générations, celle de son grand-père ou du nouveau voisin du jeune homme.


Et le texte, il aurait pu être pas mal dans ce conflit générationnel, d’un côté un idéalisme, de l’autre le pragmatisme, les questions sur le progrès : est-ce que le progrès, finalement, c’est revenir vers les méthodes d’antan, est-ce que cette idée vague n’est pas déjà celle qu’on a promis aux jeunes générations du passé, celle de mécaniser de plus en plus, d’automatiser, de libérer l’humain du poids de l’effort. Mais Gaspard Koenig n’en fait pas grand-chose, ou alors seulement pour enfoncer un personnage féminin, mais sur ce point précis, on s’attardera un peu plus tard. Parce que le roman, il ne va pas se contenter d’opposer la success story comme on dirait de Kévin, et la vie quasi-monacale d’Arthur, non non, il va comme se laisser inspirer par des séries netflix dopées pour garder l’attention du spectateur, se laisser doucement embarquer vers les doux rivages du récit de secte. Parce qu’on le sait tous, les sectes, ça fait vendre, si on veut dynamiser un texte, plutôt que de creuser ses personnages, les sortir de leur contours archétypaux, vaut mieux ajouter des dynamiques de gourous, de révolutions, d’attentats et de cyber-hacking.

En fait, quand je dis ça, je m’aperçois qu’on pourrait dire que Koenig, comme Nathan Devers l’an dernier, c’est comme un hériter de Houellebecq, mais dans ce que Houellebecq a de moins inspiré — quand il va dans l’anticipation assez paresseusement dans Anéantir par exemple, que les situations deviennent grossières, qu’on quitte le récit intime, où il est souvent bon pour aller vers quelque chose de plus épique. Dès que les auteurs veulent parler de notre société sans parler de notre société à grands coups de dystopie, de régime politique imaginaire, de révolution, pour nous farcir en fin de compte, et là je parle plus forcément de Houellebecq, des romans à thèses : Les réseaux sociaux avec Devers ou Lilia Hassaine, ici, les révoltes des écolos, puisque Arthur va servir de gourou pour Extinction rébellion, qui va décider de prendre d’assaut l’Elysée et tirer sur tout ce qui bouge, ce qui va retirer toute crédibilité, voire même toute bienveillance qu’on a pu ressentir pour ce roman. Parce que non seulement on a l’impression que l’auteur ruine son récit, le cadre qu’il a mis beaucoup de pages à installer, dans un geste qu’on a presque envie de qualifier de toute puissance infantile, en gros je tue tout le monde parce que je le peux, mais en plus le message politique est comme je le disais au début celui de la domination — il prend même le temps de nous peindre le corps d’un CRS criblé de balles à la manière du dormeur du val de Rimbaud, dans une envolée naïve et suspendue, pour insister sur la violence et l’aveuglement des protestants. En gros, le fait que ça se passe à la capitale ne peut nous empêcher de nous évoquer le mouvement des gilets jaunes par exemple, et on sent qu’il y a une peur comme chez Lilia Hassaine, comme chez Nathan Devers, comme chez tous ces gens qui ont la parole et la donnent sans vergogne des débordements, des renversements, bref, de la perte de leurs privilèges.


Pour ce qui est du style, il est dans les bons moments plutôt discret, comme je disais les moments où je le trouve le plus inspiré, c’est quand il parle de la nature, où il convoque alors un univers plutôt riche, et des scènes assez originales. En termes de découpage, il est pas trop mauvais non plus, le livre n’a pas de longueur, c’est assez dynamique. Par contre, certains passages sont maladroits et alambiqués et auraient mérité selon moi d’être élagués. Y a des lourdeurs, un côté scolaire et pas très naturel, et ce, étrangement plutôt au début du roman, alors que c’est souvent celui que les auteurs travaillent le plus. Est-ce justement à force d’être travaillé qu’il en devient artificiel, manquant de vie ? Je ne sais pas. En tout cas, ce n’est pas pour moi un auteur qui attire mon attention sur son style, ça se laisse lire comme je dis parfois, mais c’est pour ça qu’on se sent rassasié — un style sobre ou convaincant diront les critiques mainstream, ce qui veut dire pas vraiment de style reconnaissable.

Le souci, c’est qu’on dirait des personnages écrits par un boomer, alors qu’il est pas très vieux, il a la quarantaine Koenig. Chacun d’eux doit correspondre à un sociotype — Kevin, c’est le startupper taciturne, sorte de Zuckenberg du ver de terre, mais en même temps genderfluid parce qu’on veut peindre cet aspect de la jeunesse, sans visiblement avoir fait beaucoup de recherches sur le sujet. Parce que Kévin, en résumé, c’est Lisbeth Salander en mec, un personnage queer qui commence à dater et pourtant que des créateurs peu inspirés reprennent à longueur de livre, de série ou de film. A coté de ça, on a la petite troupe hippie des néo-ruraux, la fille à papa qui ne pense qu’argent et traite les autres comme des objets, le vieux prof en représentation, on a même Koenig himself qui apparait (procédé qu’on avait déjà remarqué chez Devers me semble-t-il). Et ce afin de servir la soupe que Koenig semble avoir décidé de nous servir depuis le début.


Parce que le problème des romans à thèses, c’est qu’au lieu de vouloir écrire un roman, et qu’on s’aperçoit qu’il a traité plusieurs faits de société, qui servent de briques, mais comme d’autres briques, pas plus importante ni moins importante, ben le roman à thèse, c’est un auteur qui veut à tout prix dénoncer quelque chose, porter un message, et va bâtir toute une intrigue autour. Et le souci de ces romans, c’est que déjà, c’est dur de les voir s’inscrire dans le temps, par exemple, celui de De Vigan sur les parents qui exposent leurs enfants sur Youtube ou les réseaux sociaux est déjà éventé, et dans dix, vingt ans, on en entendra plus parler, mais aussi, et c’est plus grave, c’est que le sujet vampirise tout le livre, empêche l’auteur de dévier de son sujet, de le nuancer, de montrer toute sa complexité, épouser toutes les positions possibles, puisque la réponse est déjà dans la question, que le livre sert à prouver quelque chose, et que donc, il est fermé. La littérature ça doit pas être refermé, ça sert à prouver rien du tout, au mieux poser des questions et montrer le nœud des réponses possibles. Et trop de personnes, des journalistes principalement, veulent écrire leur roman d’anticipation et n’en ont rien à faire de la littérature, du flou qui la constitue, ils veulent de gros traits grossiers, de choses claires, délimitées, morales, ça c’est bien, ça c’est mal. Je suis peut-être un peu dure avec Koenig parce qu’il n’est pas le pire dans ce cas-là, bien que sa manière de peindre les femmes par exemple est assez éloquente. Aucune ne rattrape l’autre, elles sont soient vénales, carriéristes ou bien nunuches. Ce qui matérialise bien quand même l’angoisse d’une certaine masculinité face au féminin. Marianne, pour revenir à eux salue le livre, « le tableau réaliste de la jeunesse actuelle et des angoisses existentielles qui la traversent, de la crise écologique à l’entrée dans la vie active, en passant par des relations entre hommes et femmes bouleversées par #MeToo »

Nous, on soulignera que le personnage de Philippine, qui accuse à tort Kévin de viol nous laisse pantois. Comment peut on encore écrire en 2023 des personnages féminins comme elle, des nanas qui font une Metoo juste pour se tirer d’une affaire ? Comment ça passe encore auprès des éditeurs quand on sait que statistiquement, ça représente une goutte d’eau dans le nombre d’agressions sexuelles ? Je veux dire, en plus même si on met la morale de côté, puisqu’après tout on peut écrire sur ce que l’on souhaite, comment on ne peut pas voir le manque d’originalité de ce type de personnages, depuis le film Gone Girl, on en a vu des accusatrices à tort, presque autant finalement que de vraies victimes — pourquoi les œuvres dont on dispose manquent autant d’ambition ?

Et c’est marrant, parce que ça me fait penser à Lilia Hassaine, comment les modérés, finalement sont presque plus réacs que les plus réacs, comment aussi, ils se vautrent dans des récits d’anticipation pour dénoncer le populisme ou que sais je, alors qu’ils semblent avoir aucune expérience de ce que c’est, que de vivre dans le monde des gens normaux — la preuve, les paysans de Koenig, comme ce qu’on avait remarqué chez Houellebecq, ils sortent des grandes écoles.

Donc un livre inégal, à la fin complètement ratée à mes yeux, et qui pourtant possède aussi quelques qualités, comme la poésie de certaines scènes, (pour la nature par exemple, qui permet enfin à Koenig de sortir des lieux-communs).

YasminaBehagle
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le 29 sept. 2023

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YasminaBehagle

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