Intéressant surtout pour la partie "essai" centrale.
Lorsque vous visitez Istanbul, et que vous faîtes les rayons des boutiques de souvenirs des musées, parmi les livres vous trouverez immanquablement celui-ci, au moins en édition turque et anglaise. Ce n'est pas un hasard. "Istanbul, souvenirs d'une ville", contrairement à ce que sous-entend le titre et la 4e de couverture, n'est pas seulement un livre autobiographique sur la genèse de la vocation d'écrivain d'Orhan Pahmuk, prix Nobel de littérature ayant grandi et vécu à Istanbul. C'est aussi un essai sur la ville.
Le livre, du moins dans l'édition Gallimard NRF que j'ai consultée, est agrémentée de photos noir et blanc : certaines sont des photos de famille, d'autres sont celles d'artistes stambouliotes (Istanbul a connu son lot de photographes, comme je l'ai découvert en visitant là-bas un musée de photographie méconnu, place Kadirga). Ces photos sont un important complément pour le texte, elles ont la plupart du temps une valeur illustrative.
Le livre est composé pour simplifier d'une première tranche d'autobiographie les 14 premiers chapitres), où Pahmuk évoque sa famille, enrichie par un grand-père industriel, qui fit construire un immeuble où chaque étage était occupé par des Pahmuk. L'auteur s'essaie également à cerner le sentiment dominant qui se dégage de la ville : celui de tristesse face à une grandeur perdue et niée, la grandeur ottomane.
Cette première partie, qui pose les bases, est suivie d'une partie très intéressante où Pahmuk passe en revue la manière dont la ville a été vécue, représentée, d'abord par les écrivains occidentaux, puis par les Stambouliotes eux-mêmes, mais qui ont été obligés de se positionner par rapport à Nerval, Flaubert, Gauthier....Ce sont les chapitres 14-27.
Enfin, la dernière partie redevient autobiographique : elle revient habilement à l'auteur par le biais du dessin. Puis évoque la tentative de devenir peintre ou architecte, le premier amour, les disputes avec la mère dans l'atmosphère triste provoquée par les absences du père, mari infidèle, et un relatif déclassement de la famille.
L'enchaînement des chapitres est bien vu : on pose des motifs que l'on reprendra plus tard. L'auteur le fait consciemment, d'ailleurs, en bon imitateur des tapis orientaux à motifs. Cela dit, je trouve le style de Pahmuk lourd, du moins en traduction. Ses phrases, bourrées d'incises ou de parenthèses, font rarement moins de 6-8 lignes, avec des effets de retardement qui semblent délibérés, et des répétitions inutiles qui le semblent moins. Cela provient peut-être d'une écriture par chapitre sur un temps relativement long : on sent un travail pensé, mais parfois un peu laborieux. Pahmuk dissèque ses impressions, avec la volonté d'être le plus précis possible. Mais il pourrait parfois prendre des raccourcis plutôt que de répéter quelque chose que le lecteur aurait pu trouver par lui-même. Il n'y a pas de non-dit chez lui : tout doit être dit, de A à Z.
Pour autant, Pahmuk se cantonne aux impressions : il dit lui-même à plusieurs reprises, et même avec insistance, qu'il n'a pas vocation à dégager de vérité, mais à faire oeuvre littéraire. Certaines de ses impressions d'Istanbul vues par un autochtone sont très frappantes, notamment le récit de ces week-end en famille tristounets passés à longer en voiture les côtes du Bosphore. Il y a énormément de choses vues, de fragments de mémoire collective qui intéresseront tous ceux qui ont un minimum de connaissance des lieux (je pense que c'est un prérequis pour lire le livre, même si les photos peuvent pallier). En faire un inventaire ici serait ridicule, je cite juste un exemple : ces équipes de cinéma croisées dans les rues, qui tournaient des bluettes que par la suite le jeune Pahmuk regardait à la télévision en noir et blanc.
La fin est à mon sens gâchée par le retour au destin personnel de l'écrivain. Pahmuk aurait pu s'effacer devant la ville. Il ne le fait pas, peut-être par honnêteté intellectuelle, puisqu'il n'a jamais la prétention de théoriser ce qui fait l'identité de la ville. Il n'en reste pas moins que je trouve cette conclusion inutilement égocentrique.