J’ai raté de justesse la visite de Gaël Faye à « La Page d’Après », la libraire que ma belle-sœur Floriane a ouverte à Louvain-la-Neuve il y a un peu plus d’un an. L’intérêt était tel qu’ils ont dû refuser du monde, même après avoir trouvé une salle plus grande pour accueillir l’écrivain franco-rwandais qui présentait son dernier roman « Jacaranda ». J’avais beaucoup apprécié la lecture du précédent, « Petit Pays » qui se passe davantage au Burundi, que je n’ai jamais visité. Ce premier roman a connu deux adaptations, l’une au cinéma et l’autre en BD, que j’ai beaucoup appréciées cet été.
L’après-midi avec Gaël Faye fut, m’a-t-on dit, un succès. N’ayant pas pu acheter « Jacaranda » et le faire signer par l’auteur à la librairie, je me suis tourné vers la version audiolivre, lue par l’écrivain lui-même, que je viens de terminer. J’ai été très ému par ce livre, très bien écrit et construit, qui raconte l’histoire de Milan, un garçon de père français et de mère rwandaise qui vit à Versailles. Il a douze ans quand, en 1994, leur famille accueille Claude, un enfant rescapé du Génocide qui porte encore les marques d’un coup de machette au crâne. Milan est heureux d’accueillir un petit frère chez eux, mais ne parvient pas à arracher à sa mère Venancia plus de détails sur sa vie au Rwanda avant son arrivée en France ou sur sa famille restée là-bas.
C’est en 1998 que Milan débarque pour la première fois à Kigali, accompagnant sa mère. Il retrouve Claude, qui a bien grandi, et qui est en fait son oncle, le plus jeune frère de sa maman. Il fait ainsi la connaissance de sa famille maternelle, sa grand-mère, mais aussi d’Eusébie, une amie de sa mère, qui vient d’accoucher de Stella, un bébé d’un mois, qui sourit pour la première fois quand Milan la prend dans ses bras. Au fil de ses nombreux séjours au Rwanda, jusqu’en 2020, le lien entre Milan et Stella est un des fils conducteurs du roman. Stella qui grimpe au sommet du jacaranda mauve dans la cour de la maison pour s’échapper, alors qu’Eusébie croit qu’elle a fugué. Stella qui recueille sur des cassettes puis retranscrit l’histoire de son arrière-grand-mère centenaire, qui lui permet de brosser un tableau de l’histoire du Rwanda sur cinq générations. Mais, aussi Stella, née quatre ans après 1994, et qui pourtant la nuit est poursuivie par des rêves de massacres.
Même si « Jacaranda » décrit plusieurs épisodes du Génocide de 1994, c’est plutôt le récit des rescapés, de leur vie dans un pays qui change rapidement, de leurs témoignages comme de leurs silences – tel celui que Venancia impose à son fils.
Dans un précédent article, j’avais proposé un tour d’horizon de livres et de films parlant du pays, et en partie du Génocide, sans aborder mes propres souvenirs rwandais. L’écoute du très beau roman de Gaël Faye m’a remis en mémoire mes propres liens avec le Rwanda et son passé. Je me suis souvenu de ce petit matin d’avril 1994 quand je suis parti de Liège avec ma cousine Kabibi pour la conduire à l’aéroport militaire de Bruxelles. Elle y retrouvait, après plusieurs jours de peur et d’incertitude, ses parents Michel et Fanny et son frère Dudu, qui avaient été évacués par l’armée belge après avoir dû se cacher dans les champs pour échapper aux massacres.
Lors de ma première visite au Rwanda en 1997, j’ai rencontré la maman de Fanny, une des seules survivantes de sa famille. Mon oncle et ma tante m’ont aussi emmené voir le Mémorial de Murambi, cette école technique où près de 45,000 Tutsis se sont réfugiés avant d’être tués de manière systématique. Nous avons suivi un guide qui nous a ouvert plusieurs classes où des centaines de crânes et de corps momifiés, recouverts de chaux étaient alignés. Je suis sorti sans voix.
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