Franchement, quand j'ai ouvert un œil, je me suis demandé si j'avais pas été mâché, mastiqué longuement, puis chié par un Balrog ?
J'avais la langue en carton, les fleurs qu'une amie très chère avait brodées patiemment sur un coussin calligraphiées sur la joue, une auréole sombre de bave séchée, acide, sous mon merveilleux visage.
J'étais fracassé, littéralement écrasé, flasque et dans cet instant qui semble durer une éternité, où tu essaies tant bien que mal de rassembler le puzzle de ta dernière journée, l'œil mi-clos sablonneux, faudrait choisir le pied droit au lieu du gauche pour être sûr d'en passer une meilleure que celle de la veille.
Je ne sais même plus comment je m'appelle et je devrais me lever. Sa mère la flûte.
Le café qui coule devrait apprendre à fermer sa gueule. J'aimerais bien voir à quoi il ressemble après avoir été digéré par un démon cruel.
Moi, ça ne compte pas. On ne peut décemment pas me considérer comme tel.


Il n'y a personne. L'appartement est vide, je suis tout seul. Pas de bonne femme pour m'expliquer, juste avec les yeux, que se réveiller avec le slip d'un autre sur la tête, j'ai passé l'âge.
Pas un moutard à l'horizon, à me tirer les poils de nez, la délivrance.
Je ne sais pas où ils sont tous passés, mais ça me va. J'aime bien.
Et pour fêter ça, j'envisage sérieusement de me gratter les roustons, avec délicatesse, en dégustant mon breuvage amer, avec un nuage de lait, du sucre jusqu'à ce que la p'tite cuillère tienne debout toute seule, comme une grande.


Quand tout à coup...


C'est marrant. Tout est calme, silencieux. Pas un connard d'oiseau pour chantonner comme un con, pas une caisse dans les rues, vu d'ici, me dis-je. Chelou, on doit être dimanche.
Je passe un jean, sans slip, parce que je suis anarchiste. J'emmerde tout ce qui est slip, caleçon ou boxer. C'est bon pour les moutons, ces conneries.
Le service trois-pièces, faut que ça ballote, que ça vive, mieux, que ça s'exprime.
Je suis pour la liberté d'expression totale et pour tout le monde. Et puis c'est dimanche, alors merde.


J'ai soif, le café ça étanche rien du tout. J'ai besoin d'une Kilkenny, du velours pour ma glotte et je me demande s'il ne serait pas plus sain d'avoir faim.
Je vais prendre l'air ce matin, c'est décidé, faudrait voir à pas trop éviter le soleil si je ne veux pas tourner vampire. J'aime pas les vampires, c'est des tapettes. Moi je suis un putain de loup-garou, même si j'ai moins de poils. J'suis maudit, tu m'entends ?


Purée de moi, ce que j'aime sortir, pépère, et ne croiser personne dans l'escalier.
D'habitude, il y a toujours l'enflé du 4ème, le chauve avec les cheveux longs sur les côtés, qui ne me lâche pas la grappe avec sa voiture de merde qu'on lui a encore cassée. Qui me parle trop proche, avec son haleine de fennec.
Mes « je m'en branle, m'sieur » ne l'arrêtent jamais. il s'en bat les steaks, encore pire que moi. Il parle toujours et mes réponses, mon avis, rien à foutre. Il ne cherche pas à partager quelque-chose, pas même la conversation, on dirait mon vieux.
Ce qu'il veut, c'est juste un mur, moi de préférence.
On dirait qu'il me guette, toujours à l'affût derrière sa saleté de judas, qu'il organise des tours de garde avec sa femme, la-vielle-qui-a-plus-de-moustache-que-moi. Qui a toujours l'air de descendre de cheval tellement elle a les jambes arquées.
Mais là, coup de chance, personne.


J'allume une Camel sur le perron, respirer juste de l'air ne m'intéresse pas. Je descends les marches, quatre à quatre, comme un gamin. Hiiiiii Haaaaaaa !
Ça caille un peu, drapé dans mes habits de suffisance. Je manque de me casser ma jolie gueule, mon cœur bat la malice, je suis vivant.
Je sifflote, la bouche en cul de poule, un truc qui sonnerait volontiers comme une valse. Ou une java.
Je lève la tête au plafond : j'aperçois un méchant ciel bleu. L'enculé.


Perdu sans savoir où je vais, au milieu de nulle part, je marche sans but, comme un connard véritable.
Je ne voulais pas boire une bière, tout à l'heure, déjà ? Une rouquine !
Mais trêve de balivernes, ils sont où, les gens ? Me voilà bien perplexifié.


Pas le pet d'un être humain, même ici, où ça pullule d'habitude. On dirait comme dans les films où tout le monde il est mort, tout le monde il est moisi.
J'avais rangé mon désespoir et voilà que je marche dessus. Du pied droit.


Faut pas me faire un dessin, il me faut un minimum de certitude, je ne suis pas le genre à avancer au doigt mouillé : il y a aiguille sous moche, très moche, et dans ces cas-là, le Salut viendra de BFM TV.
Je remonte fissa dans mes pénates, j'allume ma télévision. Rien, peau de balle.
Attends, c'est fou, ils peuvent pas m'avoir abandonné. Pas de Céline Pitelet, pas de Fanny Agostini...comment j'vais faire, la putain de sa mère ?
Je vérifie vite fait s'il y a du monde sur GTA Online... La sentence : «vous êtes seul dans cette session ».
Vite, mon PC, rien sur le net, pas moyen de choper un navigateur, ça se peut pas. Un coup d'oeil sur SensCritique, on ne sait jamais, bim , planté, comme d'hab'.


Prestement, je redescends. Après vérification, mon tel capte pas chez moi, visiblement. Dehors non plus...c'est quoi ce délire ?


Imaginons que j'ai besoin d'appeler la police, je suis démuni. On pourrait s'en prendre à moi et pas moyen d'appeler au secours. Bon, pour le moment ça va me dis-je pour me rassurer, c'est plutôt tranquille niveau agression.
Mais si j'ai envie de commander une pizza ?
Je m'agace, j'aime pas quand je ne comprends rien à se qui se passe.
Mais je me calme aussitôt. C'est pas ce que j'ai toujours voulu ? Personne.


Ouais d'accord mais, quand je disais personne, ça n'incluait pas la famille, pas les amis, pas James Ellroy, pas Daniel Day Lewis, pas Steve Carell... Ni ma boulangère, ni Tukür, mon fabriquant de kebab. Comment je vais faire pour avoir mon doner complet, avec frites, salade, boulgour, sauce algérienne, dans l'assiette mais à emporter ?
Faut pas tout prendre au pied de la lettre.Hein ?!?
Moi, je voulais dire juste "les autres", ceux qui servent à rien, ceux que je connais pas, eux.
Et là, bim, c'est le grand ménage. Y a plus un pèlerin. Franchement, c'est un chouilla radical, je trouve.


J'ai dû prendre une Jean Lassalle de chez Jean Lassalle hier pour être amnésique de la sorte. Une sévère, une salée, une qui te fait roter du feu.
Une putain de guerre mondiale pendant que je pionce et je ne me rends compte de rien. C'est chaud quand même. J'ai le sommeil lourd.


Soudain, je pense à l'Humanité, la pauvre, rayée de la carte. Je suis le dernier des derniers.
À peine le temps de verser une larme que je me demande où sont les cadavres, du coup. Ça doit faire un paquet de macchabées...
J'opte pour la combustion spontanée suite à une attaque chimique de Babar Al Assad ou de Donald Trompe. Vaporisés, les cons. Réduits en cendres. Par des cons. Triste fin, quand même.
Eux... mais pas moi! Sans doute parce que je suis immunisé, un truc que je consomme en grande quantité m'a donc protégé de l'hécatombe. Je suis l'élu, en quelque-sorte.


Je crois que je préfère les tas de cendres, j'aurais pas supporté les rues jonchées de corps en décomposition. Ça aurait pué, ça aurait même pu me rendre malade, imagine, l'élu malade. Ça se fait pas.
Ou pire, des zombies. Qui gueulent tout le temps, je me connais, j'aurais pas apprécié l'expérience. Non, c'est mieux comme ça.


Tandis que là, sincèrement, on ne peut pas rêver mieux. Je vais me faire une liste des bibliothèques et autre FNAC à piller, oklm. Passer chez Nicolas. Faudrait pas mourir de soif. Acheter des clopes, des feuilles, voir si je peux pas trouver une vache ou un agneau qui aurait échappé à la fin du monde, cultiver mes propres patates avec mon caca.


Sinon je suis sûr que je peux survivre en mangeant des Mars.

DjeeVanCleef
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le 14 avr. 2017

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