Je suis vivant et vous êtes morts par Tempuslegendae
Emmanuel CARRERE disait de Philip K. Dick: «Il faisait partie de la catégorie des gens qui cherchent une signification à ce qui n’en a peut-être pas.» Connaissant notre romancier, il avait décidé de parler de cet auteur de science-fiction si particulier, qui rêvait d’écrire lui aussi de «vrais romans». «Je suis vivant et vous êtes morts» est sans nul doute une réussite littéraire. On y trouve la genèse et les ingrédients du monde dickien: son enfance marquée par l’absence d’un père ou, pire encore, ses blagues douteuses (un jour, il décide de porter un masque à gaz pour amuser son fils, épisode qui restera gravé dans la mémoire de l’enfant comme un évènement grandement traumatique), son adolescence et le côtoiement avec l’univers des psychiatres et de leur langage. L’écrivain se construit par le biais d’une lucidité violente qui l’entraine à user de jeux variés pour créer une distance acceptable au monde, qui lui permette de le supporter. Arrivent les premières histoires d’amour et les premières unions, la paternité, le dégoût ou la peur de l’autre, la crainte de l’abandon aussi. Emmanuel CARRERE, fin chirurgien des mots et des détails, mêle une infinité d’éléments, tous précieux; il tisse les informations les unes aux autres, les met en scène, il romance pour donner du relief et se montre un merveilleux écrivain. Il arrive même que les existences des deux hommes se rencontrent dans leur rapport au monde et à la littérature.
Qui aurait cru que Monsieur CARRERE soit si attiré par la science-fiction au point de s’acoquiner avec elle et s’en servir dans bon nombre de ses ouvrages? Peut-être cernons-nous plus facilement cette attirance pour la science-fiction, ce qu’elle apporté aux lecteurs et aux cinéphiles, ce qu’elle continue de nous apprendre, ses limites aussi et pourquoi les écrivains d’aujourd’hui qui la servent se sentent parfois si frustrés qu’ils voudraient l’abandonner sans regret, pouvoir la considérer seulement comme un tremplin vers l’écriture.