Histoire d'appâter le chaland, la quatrième de couverture malhonnête et mensongère nous indique qu'il s'agit d'un "superbe King mêlant suspense, terreur, nostalgie et émotion". Si les deux derniers mots définissent plutôt bien le contenu de Joyland, pour le côté terreur, on repassera…
En effet, ce livre à la première personne d'à peine 324 pages ne fait absolument pas peur, et il ne s'y passe au final pas grand-chose. Pendant sa première moitié, l'écrivain du Maine nous raconte l'été d'un étudiant de 21 ans dans un parc d'attractions de Caroline du Nord. Le jeune Devin Jones a le cœur brisé, et ses journées bien remplies en tant que Gentil Assistant lui permettent surtout de ne plus penser à cette satanée Wendy qu'il aimait tant et qui a pourtant toujours résisté à ses avances… A Joyland, il va apprendre le métier grâce à quelques vieux de la vieille, et il va surtout se lier d'amitié avec deux autres saisonniers, le grassouillet Tom Kennedy et la belle rouquine Erin Cook. Pendant les 150 premières pages, Stephen King nous raconte donc son quotidien banal, sa déprime amoureuse et surtout ces moments de joie pure lorsqu'il endosse "la fourrure" pour se déguiser en Howie le Chien Gentil (la mascotte du parc). L'auteur nous initie par la même occasion à la "parlure", ce jargon utilisé par les forains où un client est un "plouc" ou un "lapin", où les WC portent le doux nom de "ouas-ouas", et où la cabine de commande d'un manège est une "niche à Médor" (pour découvrir plus d'expressions argotiques, rendez-vous directement à la page 73).
Une fois que l'été 1973 s'achève, Devin décide de rester à Joyland dans le cadre d'une année sabbatique, et croyez-moi, il n'y a rien de plus déprimant qu'un parc d'attractions vide hors-saison. Il se contente dès lors de faire des travaux de maintenance (peinture, cirage, graissage, etc…), et en rentrant chez lui par la plage, il fait connaissance avec une femme distante de 31 ans et son fils de 11 ans atteint de la myopathie de Duchenne. Tout comme l'enfant lumière de Shining, Mike possède un don de médium qui permet de lire dans les pensées ou de voir des fantômes… Ca tombe bien, car selon la rumeur, il y en a justement un qui erre dans la Maison de l'Horreur à Joyland !
Ne vous emballez pas trop, car comme je vous l'ai dit en préambule, il ne s'agit pas d'un roman horrifique ou fantastique. Le fantôme de l'adolescente égorgée ne fait au final aucune apparition, et les divers protagonistes ne font que l'évoquer sans jamais la rencontrer. Plutôt que de faire basculer son intrigue dans le surnaturel, Stephen King préfère nous raconter l'histoire de ce garçon condamné à court terme, et qui au crépuscule de sa courte vie, rêve de passer une journée à Joyland avec sa mère et son jack russell prénommé Milo.
Tout ce qui concerne la jeune fille assassinée dans le parc quelques années plus tôt est finalement assez superflu, et quand Devin et Erin se muent en détectives amateurs, Stephen King ne parvient plus vraiment à captiver l'intérêt du lecteur. Idem pour le twist final prévisible et la révélation du tueur. Finalement, tout ça, on s'en fout, car on ne connaît pas les victimes, et les individus soupçonnés par le héros se ressemblent tous. L'insertion de cette intrigue policière dans le dernier tiers du roman semble un peu forcée, et elle donne l'impression que l'auteur n'a pas su se contenter d'un simple récit initiatique sur la vie d'un jeune forain au cœur brisé.
Pour résumer les choses, Joyland est un roman sobre, court et agréable à lire. Un roman nostalgique et parfois un peu mièvre qui nous parle du premier chagrin d'amour, d'amitié à trois, des parcs d'attractions d'antan, d'une mascotte qui danse le hokey pokey, de parties de scrabble perdues d'avance, de tendresse pour un garçon malade, d'un cerf-volant à l'effigie de Jésus, d'un dépucelage expédié en 8 secondes, de balades mélancoliques sur une plage déserte et accessoirement, d'un serial killer lambda dont on se contrefiche complètement. Notez que la fin, chose rare chez Stephen King, est belle et particulièrement émouvante.
Tout comme dans 22/11/63, l'écrivain sexagénaire semble prendre un réel plaisir à se replonger dans l'Amérique de sa jeunesse : à cette époque, la vie lui paraissait certainement plus simple, plus vraie et moins cynique. Au final, cet énième livre ne semble être pour lui qu'un prétexte pour se confier à son Fidèle Lecteur, et digresser tel un vieux sage sur tel ou tel sujet. Je pense ainsi à cette citation de la page 122, que j'ai trouvée juste et pessimiste à la fois : "de tels feux de camps sont probablement interdits dans notre XXIème siècle commençant. Les puissants de ce monde ont le chic pour mettre hors la loi quantité de belles et bonnes choses faites par les honnêtes gens. J'ignore pourquoi il en doit en être ainsi, je sais seulement que c'est une réalité".