Forcément, on sait. Décider de lire Kinderzimmer de Valentine Goby ce n'est pas comme s'emparer d'un quelconque roman. Ce dernier terme convient-il d'ailleurs ? Un document, plutôt, tant il est évident que l'auteure sait de quoi elle parle et que la part de fiction ne pourra jamais prendre le dessus sur la réalité des faits, qu'ils aient eu lieu il y a près de 70 ans ne changeant rien à leur atrocité. Kinderzimmer raconte le quotidien de femmes enfermées dans le camp de concentration de Ravensbrück. Combien y ont été internées ? 135 000 environ. Combien y ont trouvé la mort ? Plus ou moins 90 000. Les chiffres ne disent rien de plus. Les mots, oui. Ceux contenus dans Kinderzimmer sont saillants et décharnés. Ils disent l'horreur, la puanteur, le désespoir et l'agonie. Et aussi les moments de fraternité, la solidarité, les très rares instants de minuscule bonheur partagé. Et cette pouponnière, ces bébés dont l'espérance de vie est de trois mois. Il faut pouvoir décrire leur condition, leur environnement, la tragédie des mères. Valentine Goby s'attarde sur les corps de ces femmes, leur déliquescence, décadence, décomposition, décrépitude, dégénérescence, dégradation. Elle ne nous épargne rien. Pourquoi le ferait-elle ? C'est un témoignage, sur le caractère d'abjection des hommes qui ont décidé ou permis cette abomination. Il est si facile de rejeter, d'oublier, de passer à autre chose. Kinderzimmer nous met le nez dedans. Pas d'échappatoire autre que de quitter le livre s'il nous est insupportable. Et si on parvient à le lire jusqu'au bout, il y a comme une délivrance et un soulagement. Dire de lui qu'on l'a aimé est physiquement impossible. Mais qu'il nous a secoué, nous a fait frissonner de dégoût, nous a mis le coeur au bord des lèvres, ça oui. Il serait indécent de parler de pathos, la romancière évoque une souffrance suprême autant qu'une volonté de survivre. Pas par simple courage mais par devoir, en hommage à celles et à ceux qui y ont laissé leur peau.