Échappé de Salem lors de la grande chasse aux sorciers du XVllle siècle, Joseph Curwen vint s'établir à Providence où il mourut en 1771. La découverte de sa tombe par son descendant, Charles Dexter Ward, va être le début d'une enquête tortueuse et d'une descente progressive vers la folie.
L'affaire Charles Dexter Ward s'articule autour de fouilles, de recherches, d'énigmes, et de mystères surnaturels à explorer et à démêler. Pas pour une enquête dans une affaire criminelle, mais pour cerner l'esprit d'un personnage intrigant réputé pour ses travaux en sorcellerie. En effet, l'homme en question est la source de nombreuses suspicions, notamment à cause de sa longue vie de plus d'un siècle sans en avoir jamais eu l'apparence. Aussi, son arrière-petit-fils entreprend l'ambitieux et dangereux projet d'en apprendre davantage sur Joseph Curwen au point de sombrer progressivement vers la folie. Ce récit demeure intéressant, mais sa construction est effritée dans sa manière très étrange de narrer son histoire. On parle d'une combinaison hasardeuse de flashback, de recueil de dates, et d'une narration qui ne commence réellement qu'au bout de plusieurs chapitres. En effet, il est aisé de se perdre dans ce récit biscornu tant le mystère se floute non pas par intelligence d'écriture, mais parce que l'histoire est réellement fastidieuse à suivre. Tout du long, il émane du livre la fâcheuse impression de lire un journal où les périodes défilent le temps d'un instant, sans jamais réellement se poser sur un contexte précis. Pendant que les dates passent, les longues descriptions de personnages et de lieux semblent inutiles, tant on prend conscience de suivre une période particulière pour seulement quelques lignes fugaces avant de faire un bon dans le temps vers une autre. Le fait est que l'ennui est présent durant une bonne partie du récit. Impression décuplée en compagnie d'un mystère finalement prévisible, mais aussi étiré à l'extrême jusqu'à le rompre.
Cependant, Lovecraft corrige ses erreurs lors d'une transition importante du récit. Un moment précis qui fait basculer toutes les impressions négatives ressenties jusqu'ici pour ressentir des émotions totalement différentes. En effet, à un moment clé de l'intrigue, le récit semble enfin se rendre à l'essentiel en oubliant ses bidouillages pour agir simplement selon l'art Lovecraftien. L'esprit Lovecraft fait en effet son grand retour à l'instant même où le personnage explore des sous-sols qui concrétisent toutes ces recherches et tous ces questionnements qui brouillent notre esprit depuis déjà plusieurs heures de lecture. La structure des idées s'agence alors miraculeusement avec une angoisse indescriptible et une menace innommable. Ces frissons permis par une étrange coexistence entre ce que Lovecraft écrit et ce que l'imaginaire du lecteur peut y apporter. C'est une sensation incroyable que de se laisser guider par la plume de Lovecraft tout en laissant vagabonder son propre esprit afin de créer les pires horreurs dignes des pires cauchemars. Ce qui est encore plus dommage, c'est que le récit prend vraiment de l'ampleur et de la consistance à ce moment précis, mais que le temps de s'y plonger la fin de l'histoire clôture brutalement notre imaginaire avec une prévisibilité frustrante.
Conclusion
Horreur, terreur, tension, angoisse. Avec L'affaire Charles Dexter Ward on retrouve tous les éléments qui font le charme des écrits de Lovecraft, mais encore faut-il avoir la volonté de tenir au-delà de plusieurs chapitres fastidieux à lire. En effet, Lovecraft étire son mystère jusqu'à le dénuer d'intérêt en multipliant les dates et les témoignages sur l'affaire Ward sans jamais prendre le temps de se poser sur un contexte précis. Ce n'est qu'après plusieurs chapitres que le récit commence réellement selon l'art Lovecraftien. Celui qui apporte une structure narrative absconse qui n'existe qu'en symbiose entre les écrits de Lovecraft et l'imaginaire du lecteur pour donner vie aux pires horreurs.
Je dois reconnaître que je n'obtiendrai jamais le triomphe.
A la place du triomphe, j'ai trouvé la terreur.