L'Aménagement du territoire, comme Baudelaire dans le vers fameux de Moesta et errabunda (“Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate !”), vise à enchanter la modernité. Rimbaud, sous le nom de Bava, avait constaté sur un ton satirique l'impuissance de la poésie à digérer l'énorme expansion du monde de la technique (“Et les poteaux télégraphiques / Vont orner, − lyre aux chants de fer, / Tes omoplates magnifiques !”) ; un siècle d'apprivoisement plus tard, A. Bellanger tâche d'inventer le mode de récit à même d'annexer les formes de la technique à l'art romanesque. Il y réussit par moments, et ce sont les meilleurs moments de l'ouvrage, en formulant une vision poétique sur les sujets de la “mobilité”, de la sécurité routière à la SNCF.
Malheureusement, et en dehors de cette réussite méritoire mais localisée, la lecture de L'Aménagement du territoire est souvent pénible. Les passages didactiques qui parsèment l'ouvrage sont souvent d'un intérêt assez limité (à commencer par le long panorama assez basique de la néolithisation qui ouvre le roman, que j'ai feuilleté d'un air distrait). Le jeu avec les oripeaux du complotisme ne convainc pas et on en comprend même assez mal le but ; la société secrète qui désigne le préfet Peltier et André Taulpin comme héritiers est un dispositif narratif mal maîtrisé. N'aurait-on pas pu obtenir exactement le même résultat par leur inimitié naturelle ? Sans parler de ce qu'on pourrait appeler, sur une intuition de Gracq, le “syndrome de Gurau”, à savoir l'inégalité de toute confrontation entre des personnages historiques (ici, Foccart) et des personnages de fiction, qui tend à vider les seconds de leur substance. Plus généralement, on peine à ressentir toute empathie pour les personnages, composés selon des schémas assez simples (l'ingénieure lesbienne et anorexique — bon…) et sans qu'il soit jamais fait beaucoup d'effort pour leur faire prendre de l'épaisseur. L'ensemble de ces défauts deviennent de plus en plus criants à mesure que l'on avance dans les cinq cents pages du livre, qui aurait sans doute gagné à être raccourci.