L'Ange de l'abîme par Hard_Cover
L'Ange de l'Abîme est le deuxième tome de la trilogie des Prophéties. Ce cycle a été entamé avec L'Évangile du serpent, roman dans lequel on assiste à l'avènement d'un prophète prônant le retour à la nature.
Mais ne nous méprenons pas. L'Ange de l'Abîme n'est pas vraiment la suite de L'Évangile du serpent. On ne trouve en tout et pour tout, dans ce roman, qu'une unique allusion au mouvement du prophète Vaï Ka'ï. On peut donc le lire indépendamment, ce qui explique sûrement que le premier tome des Prophéties ait été édité, en poche, par Gallimard mais que ses suites se trouvent dans le catalogue du Livre de Poche.
L'histoire d'un avenir possible.
Nous sommes donc au XXIème siècle. Après l'interdiction du mouvement du Christ de l'Aubrac, un retour aux valeurs chrétiennes traditionnelles de l'Europe s'est amorcé, avec l'apparition de l'archange Michel et de ses légions roumaines.
Alors que tous ceux refusant de devenir de bons chrétiens – les Musulmans en premier – étaient priés de quitter l'Europe, une guerre avec le Moyen-Orient a éclaté. Toute l'Europe est la proie des bombardements, tandis qu'une guerre de tranchées se déroule à l'est. Les jeunes hommes, dès qu'ils sont en âge de tenir une arme, sont enrôlés dans la Légion pour se battre sur le front. En France et dans les autres pays européens, les sympathisants musulmans sont traqués et emprisonnés – ou tués. Les populations du vieux continent, soumises aux rationnements, aux couvre-feux, aigries, ont sombré dans la peur et son pendant, l'extrémisme.
Pibe, 13 ans, voit sa famille décimée au cours d'un bombardement du quartier résidentiel dans lequel elle vit. Il est recueilli par les cailleras, ces hors-la-loi adolescents qui vivent de pillages. Il rencontre alors Stef. Tous deux sont conduits par le destin vers l'est, vers la Roumanie, vers l'archange Michel, celui à qui on doit l'effondrement de l'Europe...
Du pur Bordage.
Comme dans presque tous les romans de Bordage, l'histoire racontée dans L'Ange de l'Abîme est celle d'un destin en marche. Ici, c'est celui de Pibe qui est en jeu. Nous le voyons grandir, passer du statut d'enfant à celui d'homme, au travers d'une multitude d'expériences, parfois brutales, parfois tendres.
Comme dans tout Bordage qui se respecte, il y a du sexe et il y a de la violence. Il y a aussi cette tendance qu'a le personnage principal de se sortir de toute situation embarrassante grâce à ce qu'on pourrait appeler sa bonne étoile. Et aussi grâce à ses alliés – ici Stef, « son ange gardien ».
Mais un Bordage, c'est souvent un pamphlet contre l'Humanité qui se perd, qui plonge dans une folie sociale, une irraison fatale qui la fait s'écrouler. Dans L'Ange de l'Abîme, Pierre Bordage s'attaque évidemment aux religions, plus précisément aux dogmes, à ceux qui tirent un profit – financier et politique – d'un extrémisme religieux qui réussit à allier des valeurs brillantes avec de sombres réalités. D'ailleurs, aucun des personnages de L'Ange de l'Abîme n'a la foi – en tout cas en le dieu de l'Archange Michel, le dieu chrétien –, soit parce qu'il ne l'a jamais eu, soit parce qu'il l'a perdu.
Les romans de Bordage sont souvent construits de la même façon. Plusieurs personnages sont au centre de l'histoire et l'auteur passe, de chapitres en chapitres, de l'un à l'autre jusqu'à ce qu'ils se rejoignent, plus ou moins tôt dans le roman, pour enfin vaincre leur ennemi commun.
Avec L'Ange de l'Abîme, Bordage modifie ses habitudes. Il ne nous fait pas suivre pour autant l'aventure de Pibe et de Stef en continu. Pourtant, seuls Pibe et Stef sont des personnages principaux. Tous les autres protagonistes dont l'auteur nous fait faire connaissance ne sont ni des ennemis, ni des alliés du garçon et de la fille, mais seulement des acteurs et spectateurs de cette Europe plongée dans le chaos. A travers eux, l'auteur nous offre une vision de cet avenir désastreux. Il rebondit de personnage en personnage (il y a toujours un lien, même ténu, entre le nouveau personnage et le précédent), pour dessiner une mosaïque complète du XXIème siècle de L'Ange de l'Abîme.
Cette construction est un peu déroutante : on essaie de s'intéresser pleinement aux personnages en croyant avoir affaire à eux pendant tout le roman mais en fait, ils sont abandonnés rapidement. C'est un peu décevant, au début. Puis on s'y fait et on accepte complètement le choix de l'auteur en comprenant tout l'intérêt et la subtilité de ce récit constitué de fragments de vies aussi perturbées que le monde qui les abrite.
Pas le meilleur Bordage, mais un bon roman.
L'Ange de l'Abîme n'est pas le meilleur roman de Bordage.
L'aventure de Pibe n'a rien d'extraordinaire. Ce qui lui arrive au cours de sa traversée de l'Europe jusqu'en Roumanie n'est pas très excitant.
Toutefois, l'avenir décrit par l'auteur est tellement crédible, affreux, désespérant, qu'on ne peut que reconnaître – encore et toujours ! – le talent de conteur de Bordage. Ce roman vaut vraiment le détour, d'autant qu'il se lit rapidement grâce à l'écriture fluide, aisée, de Bordage.