Powers nous plonge dans le monde passionnant et méconnu des arbres. La magie de ce roman touffu est de nous faire vivre la rencontre entre ces êtres vivants plus anciens que nous et les hommes « modernes » parfois inconscients de leur responsabilité envers la Nature qui les accueille et dont l’avenir rejoint le leur, n’ayant pas d’autre choix, leur conscience enfin éveillée, de se vouer corps et âme au rôle de lanceurs d’alerte et de protecteurs.
La première partie est consacrée aux portraits des protagonistes. Venus d’horizons très divers, on suit le début de leur vie, Powers sachant avec subtilité nous faire percevoir ce qui fait l’essence de leur personnalité et de leur destin. Chaque chapitre place en exergue la reproduction d’une feuille d’arbre qui semble donner sa couleur à la vie du personnage : le tilleul et ses principes bienfaisants mais dans lequel, paradoxalement, un personnage rentrera avec sa voiture ou le chêne vert duquel tombera, enfant, un autre personnage, le laissant gravement handicapé mais consacrant sa vie à une vaste entreprise de jeux informatiques où l’arbre occupe une grande place.
Dans la deuxième partie du roman, les destins se rencontrent, se croisent, toujours sous le signe de l’arbre. Mû mystérieusement par la volonté de défendre les arbres qu’on sacrifie sur l’autel de la productivité, chaque personnage engage sa vie, parfois jusqu’à la mort, pour défendre ceux qui, on l’apprend par une biologiste dont on suit l’itinéraire, ont une vie, un système de communication, une intelligence commune à celle de l’homme. L’auteur joue admirablement entre le réel et les dernières découvertes scientifiques et ce qu’on doit appeler le fantastique tant on méconnait cet univers des arbres dont notre vie sur terre dépend pourtant.
Si rentrer dans cet univers au début éclaté est un peu difficile, notre patience est largement récompensée par une fin où chaque personnage est évoqué de plus en plus rapidement, et de plus en plus intensément, donnant à ce beau et long roman une unité impressionnante.
Pour vous donner un avant-goût :
« Nous autres scientifiques ( c’est la botaniste récoltant des graines d’arbres pour protéger leur patrimoine génétique qui parle), on nous apprend à ne jamais chercher l’humain dans d’autres espèces. Alors on insiste pour que rien ne nous ressemble ! Jusqu’à très récemment, on ne voulait même pas accorder une conscience aux chimpanzés, encore moins aux chiens et aux dauphins. Mais seulement à l’homme, vous comprenez : seul l’homme pouvait en savoir assez pour vouloir des choses. Mais croyez-moi : les arbres veulent quelque chose de nous, comme nous avons toujours voulu quelque chose d’eux. Ca n’a rien de mystique. L’ »environnement » est vivant : c’est un réseau fluide et changeant de vies animées d’un but et interdépendantes. » (p. 669 éd .10/18)
Bonne lecture à tous les amoureux des arbres !