Kabyles et harkis
Trois générations, trois personnages principaux : Ali, Hamid et Naïma. C'est à travers eux, et ceux, nombreux, qui les côtoient, que Alice Zeniter raconte dans L'art de perdre l'histoire d'une...
le 23 août 2017
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Quel beau roman nous livre là Alice Zeniter!
Comme plusieurs ouvrage ces derniers mois, L'art de perdre met enfin des mots sur cette période encore trop douloureuse qu'est la guerre d'indépendance de l'Algérie et le rôle trouble d'une France si souvent prompte à asséner des leçons de bonne morale.
Mais comment mettre des mots sur une histoire qui n'est faite que de non-dits, de silences et de regards baissés?
C'était un pari risqué que Alice Zeniter relève avec talent en retraçant l'itinéraire d'une famille déracinée, abandonnée de tous.
Parce-que Ali qu'il a fait un mauvais pari, qu'en 1962 il est un "harki", il n'est plus algérien, et ne sera jamais vraiment français.
Il s'est pourtant battu pour la France, il a des médailles à son revers qui le démontrent. Mais lorsqu'il rejoindra le territoire français, pour la première fois depuis 1945, ce n'est pas de la reconnaissance qu'il trouvera, mais de la méfiance, de la défiance et du rejet.
Ce qu'il trouvera en France, ce sont des camps insalubres où s'entasseront des milliers de famille pendant des mois dans l'attente que de couardes autorités décident de ce qu'ils allaient faire de ces personnes qui n'étaient citoyens français que de loin, ou mieux, morts à l'entrée de camps nazis.
Hamid est le fils d'Ali. Il quitte l'Algérie enfant, plus attaché aux espoirs de l'avenir qu'au territoire sur lequel il se construira. Ce que Hamid ne supportera pas, c'est le déclassement social de ses parents et la nostalgie servile qui les accompagne.
Hamid devient chef de famille parce qu'il est le fils aîné, qu'il est le seul à comprendre et parler parfaitement le français. Ces responsabilités le rempliront d'une sourde rage de voir ses parents ainsi démunis, mais également d'un ressentiment profond à leur égard, pour n'avoir pas su rester parents, et le laisser, lui, être un enfant.
Pour sortir ce ce mal être, Hamid choisira l'oubli: effacer l'Algérie, ne pas trop se retourner sur sa famille.
Mais les racines, même mortes, restent tant qu'on les coupe pas.
Naïma est la fille de Hamid et d'une belle bourguignonne. Elle a grandi dans une confortable maison de banlieue pour classes moyennes, en ne prenant conscience de ses origines que dans le regard des autres.
Naïma a vécu au milieu de silences qui, au fil du temps, ont creusé en elle un vide qu'elle ne peut identifier, qu'elle ne parvient pas à combler. Elle comprend qu'elle n'a d'autre choix que de se lancer à la recherche de ces racines qui meurent de trop de silence, et qu'on ne peut couper qu'en acceptant d'être enfin soi, et seulement soi.
L'art de perdre, c'est l'art d'être soi: savoir d'où on vient et savoir perdre un peu ces origines, pour devenir qui on est.
Au delà des qualités historiques indéniables du roman, il s'agit d'une véritable, et passionnante, réflexion sur cette liberté là, d'être soi, de ne pas dépendre de ses ancêtres, d'un territoire, de ce que les autres attendent que vous soyez. La liberté de ne pas être le seul prolongement de nos aïeux.
Construit en trois parties suivant successivement Ali, Hamid et Naïma, L'art de perdre est un très beau roman à l'écriture fluide et limpide.
Zeniter crée des personnages extrêmement attachants qu'on abandonne à regret.
La troisième partie du roman, consacrée à Naïma, est un peu plus confuse que les précédentes, un peu moins subtile, mais si l'on considère que le personnage lui même est en quête d'identité, cela fait sens.
En tout état de cause Alice Zeniter met en lumière les enjeux et les déchirures de ces populations exilées contraintes, rejetées de tous, avec une empathie très simple et naturelle de sorte que jamais elle ne sombre ni dans le jugement ni dans le pathos.
Un roman qui mérite vraiment d'être lu, et relu.
(L'art de perdre a reçu le Prix Goncourt des lycéens 2017)
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Créée
le 15 janv. 2018
Critique lue 678 fois
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