Hasard des lectures qui s’accumule, j’ai lu ces derniers jours L’Attentat de Yasmina Khadra. Un livre court (240 pages) qui se lit très rapidement et interroge son lecteur tout en l’intéressant. Pour autant, le résultat final peut conduire à quelques déceptions.
En 2005, Yasmina Khadra cherche à ouvrir ses lecteurs à plus d’humanité sur le conflit Israëlo-Palestinien. Le récit est ici celui du docteur Amine, chirurgien israélien d’origine arabe, reconnu, intégré, célèbre et riche. Un attentat secoue Tel-Aviv, une femme s’est faite exploser et a provoqué la mort de presque 20 personnes, dont des enfants. Cette femme, c’est Sihem, l’épouse de Amine.
Vivant ce drame doublement, perdant sa femme et découvrant que celle-ci a pu commettre l’impensable, Amine va chercher à comprendre ses motivations en s’enfonçant plus loin en Israël, partant de Tel-Aviv pour Jérusalem, Bethléem, Janin. À chaque fois, il découvre que la misère du peuple palestinien est pire que ce qu’il imaginait, à chaque fois il se retrouve confronté à des questions moins politiques que religieuses et humanistes. Qu’est-ce qui peut pousser un peuple à vouloir la mort comme seul moyen de se défendre ?
C’est cela que Yasmina Khadra cherche à nous faire comprendre : le but n’est pas de pardonner, mais de comprendre. Comprendre que derrière l’horreur des attentats il y a des morts de l’autre côté, de l’espérance détruite à chaque instant, une absence totale d’avenir.
Le projet est beau, l’idée mérite d’être portée. Le peuple palestinien mérite d’être entendu dans ce râle d’agonie qui dure depuis des décennies.
Pour autant Yasmina Khadra tombe dans une absence de réalisme pour tomber dans le manichéisme.
Si l’auteur propose bien des réflexions très profondes autour de ce qui constitue Israël : on a une réflexion sur le fait que la Shoah est inoubliée et inoubliable même par nature, la place de la richesse et de la célébrité, d’un cadre de vie à succès, une volonté de penser les amis et le dialogue démocratique, une pensée paranoïaque simultanément ; c’est fondamentalement une proposition coupée en deux qu’offre le livre.
Dans ce livre, à l’exception des amis de Amine, qui sont tous avec une réelle personnalité (et un petit groupe d’amis à Kim), tous les israéliens sont des salauds. Soit ce sont des policiers violents, méchants, racistes, agressifs et sans aucune élégante, sans aucune forme d’humanité, soit c’est la foule, vulgaire, agressive, violente, qui nie au docteur Amine son innocence et sa douleur.
A l’inverse, les palestiniens ont tous une forme de stoïcisme et de gentillesse première. Surtout les chefs militaires, responsables des actes terroristes sont tous emplis d’un grand calme. Ils acceptent les insultes du docteur Amine et y réponde en tentant de l’élever à chaque fois, soit dans une démarche spirituelle, soit (et le livre aboutit à cela) à une compréhension que le sujet n’est pas religieux mais fondamentalement lié à la liberté humaine. Les seuls véritablement méchants sont ici les chefs religieux eux-mêmes, mais pas ceux qui agissent en leur noms, qui tous ont des comportements emprunts de respect, même quand ils sont violents vis-à-vis du héros.
C’est là pour moi le problème principal. Non pas que montrer l’humanité de la cause palestinienne soit une erreur, non pas que Yasmina Khadra se trompe en montrant à quel point la violence israélienne est forte depuis des décennies, à quel point un peuple se voit privé de tout avenir et que c’est cela qui conduit à la violence. Non le problème est de présenter sous un jour si positif des donneurs de morts. Car comprendre ne signifie pas les sanctifier.
Or, c’est là un fait très surprenant, mais le livre omet très rapidement de parler des morts de l’attentat de Sihem. On devrait pourtant rappeler à chaque fois que ceux-ci débattent sur des morts, des morts aussi innocents que les enfants palestiniens.
Plusieurs fois Yasmina Khadra rappelle que seule la vie est belle, la mort, même la sienne, ne saurait l’être. Plusieurs fois il y a cette volonté de rappeler au lecteur que si l’auteur comprend, il ne pardonne pas et qu’à la fin ils demeurent des criminels. Mais on peut se dire que ces remarques manquent d’un miroir, d’un rappel des morts, trop nombreuses.
Yasmina Khadra réalise un livre fort, qui mérite d’être lu pour ressentir toute la violence de la dépossession de la Terre, mais ce travail demeure peut-être encore trop « rapide », dans le sens où le livre mériterait une centaine de pages de plus, pour gagner en profondeur autour de l’opposition des deux camps.
Je pense aussi que la fin s’emballe beaucoup trop, allant de mal en pis.
On oscille également dans un cadre psychologique autour du personnage du docteur Amine, qui est quand même un type pas spécialement intéressant, pas très fin, incapable d’agir de la bonne manière pour obtenir des réponses et doté d’une bonne personnalité patriarcale qui ne peut s’empêcher de penser sous l’angle du rapport sexuel avec sa femme.
Le style permet de saisir vite l’intrigue, d’aller vite, d’être séduit mais il manque de poésie. Les dialogues sont malheureusement très mécaniques également.
Enfin le dernier chapitre qui rappelle le premier me semble être un procédé scénaristique artificiel, permettant de donner une allure de génie à une technique assez banale qui, de plus, n’ajoute pas grand-chose (sinon dire que les israéliens font aussi des attentats, ce qui à cette étape du texte n’est plus nécessaire) mais offre une conclusion artificielle à un livre qui n’aurait pas, sinon, atteint sa fin.