Par prévention contre le racisme disait-il, mais surtout parce qu’il menait une double vie, leur père n’a reconnu ni Anna ni son frère à la naissance. Ainsi poursuivait-il, lui le laveur de carreaux qui passa sa vie en France le nez sur des parois de verre à assurer leur transparence, l’oeuvre d’effacement que, depuis son arrivée à Tours en 1962, adoptant « tous les insignes du bon Français » « pour ne pas se faire remarquer » mais aussi pour tenter d’oublier cette Algérie devenue pour lui synonyme de mort et de cauchemar, il avait entrepris quant à son passé et à son identité.
Béance à l’état civil, absence en pointillés de plus en plus espacés au quotidien, il finit même par ne plus traverser la vie d’Anna que sous la forme régulièrement entraperçue d’une silhouette caractéristique sillonnant la ville sur son scooter hérissé de son échelle et de son béret rouge. Mais voilà, « c’est lorsque l’on efface que soudain tout résonne. » « C’est lorsqu’on les dénude que les parois se mettent à parler. » Ce père champion du gommage de vitres comme de sa mémoire et aujourd’hui décédé, Anna désormais professeur de géographie ne peut se résoudre à le laisser s’évaporer comme un mirage. Ces traces qu’il s’est avec tant de soin évertué sa vie durant à effacer, elle n’aspire qu’à les faire resurgir, espérant ainsi combler les blancs qu’il lui a laissés en héritage.
Alors, la jeune femme enquête, interroge, cherche le révélateur de cette encre sympathique avec laquelle il a écrit sa vie et, du coup, une partie de la sienne aussi. Elle se voit comme un « boomerang » qui, un jour « inverserait son trajet, reviendrait s’écraser à son point d’origine. » On la perçoit comme un insecte se cognant désespérément à la vitre invisible de l’opacité et du silence. Car au vide répond obstinément le « rien », celui qui a pris la place de ses origines, à-demi gommées par ce qu’elle devine du massacre de ses grands-parents et par le couvercle jeté sur les atrocités de la guerre coloniale.
Joliment porté par la finesse et la poésie d’une plume tout en retenue jonglant entre opacités et effets de transparence, ce premier roman d’inspiration manifestement autobiographique peut, par certains côtés, faire penser à Archipels d’Hélène Gaudy. A défaut de se laisser percer, l’énigme paternelle aura, dans les deux cas, entre émotion et réflexion, suscité de fort beaux ouvrages littéraires.
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