L'Écume des jours
7.5
L'Écume des jours

livre de Boris Vian (1947)

À qui sait bien aimer, il n'est rien d'impossible

C'est ce qu'on ose espérer tout le long de ce récit tragique, qui témoigne de la complexité des uns. Mais on sait que tout ira mal, à tel point que l'espoir à peur de briller dans l'œil du lecteur. Ce chef d'œuvre a été pour moi une totale remise en question sur tous les plans relationnels que j'entretiens avec autrui, et comme me l'a dit un chic type à propos du film "500 days of Summer" : Si tu es en couple ou que tu as vécu une relation forte, ce bouquin te détruit, si tu es un célibataire endurcit, il anéantit tous tes espoirs.

Le caractère des personnages est bien imaginé & permet une cohérence parfaite tout au long de l'histoire. D'un côté, vous avez Colin, le simplet placide dont la candeur nous étonne toujours en la présence de la charmante Chloé, stupide mais bien roulée, attachée à la simplicité des choses, tuée par la monotonie et la routine, aucune psychologie identifiable, sans but ni réelle souffrance, sans passé ni avenir, son présent même lui échappe. Et dans l'ombre du couple se tient Chick, le meilleur ami perfide de Colin, collectionneur frustré par sa condition, égoïste et élitiste, cause directe du malheur d'Alise, sa prétendue "chère et tendre".
Et puis il y a les autres, tous ces personnages soit disant secondaires qui apportent tant à l'histoire, tels Nicolas, Alise ou Isis ...

C'est l'histoire tragique d'un amour inévitable que la force des choses a rendu passionné, brutalement interrompu par la maladie. Imaginez vous dans un café, dans le coin de la pièce, assis sur un banc en cuir rouge, vous lisez le best-seller du moment, vous fumez et recrachez une bouffée de fumée avant de vous emparer de votre tasse de café que vous portez doucement et tremblant vers vos lèvres pincées, prêtes à siroter le contenu. Mais votre bouquin vous obsède et il est temps de tourner la page, dans un geste maladroit vous renversez votre café que l'attente a refroidit sur votre magnifique jean délavé des 80's. Agacé, vous posez tasse et bouquin ne vous préoccupant plus de votre drogue qui se consume lentement dans le cendrier. Vous relevez lentement la tête, il doit être 19 heures, les lampadaires brillent le long d'une rue tapissée de neige. Vous vous arrêtez quelques secondes sur l'image d'une femme pressée de rejoindre son amant, se lançant dans les bras de ce dernier, un parapluie noir encadrant le couple pris dans une danse frivole et heureuse. Puis vous élevez votre regard vers les torrents de neige qui se déversent du ciel et vous vous rendez compte que vous avez tout perdu, la femme de votre vie, qui danse avec un inconnu à une rue de vous, votre jeunesse, votre amour, votre famille, votre propre confiance. C'est exactement ce qu'on ressent en lisant ce livre. Le sentiment de tout perdre ... sauf son temps, bien entendu.

Un moment de pure nostalgie, de désespoir total, de haine, de frustration, de peur et de tristesse, l'impression de ne pas appartenir à ce monde, de ne pas y avoir sa place, pas dans cette époque si compliquée, vous rêviez de simplicité, vous aussi, comme Colin et Chloé qui vous apportent une image terrifiante de votre idylle, plus les pages se tournent, plus vous sentez vos pupilles se dilater, la sueur perler sur votre tempe, vos mains deviennent moites, mais vais continuez quand même, parce qu'un espoir tronqué vous tend la main.

Un gros coup de cœur pour ce bouquin qui ne vieillit pas malgré son presque-demi-siècle, je le recommande fortement à tous ceux qui ne pensent pas déjà au suicide et à la fuite de ce monde, car ce récit encourage bien les pensées de ces gens.
Tyel
9
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le 2 sept. 2011

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Tyel

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