(Lu en VO) [Critique avec spoilers]
Le titre de cette critique me semble déjà assez équivoque : dans ce quatrième volume de la série de livres Dune on assiste à la fin de plusieurs millénaires passés sous le joug d'un "tyran" nommé Leto II. On explore ses pensées, ses nombreux "moi" intérieurs, ses réflexions sur l'humanité, la vie...
Tantôt terriblement humain, tantôt insensible aux tracas de l'humanité, Leto incarne et explore cette dualité en lui qui est née de cette malédiction (et oui!) qu'est la préscience. Comment vivre lorsqu'on sait déjà tout de l'avenir et en particulier lorsqu'on sait que l'humanité est condamnée ? Comment échapper à cette issue tragique ? Pour Leto, l'unique solution n'est autre que le "Golden Path", un chemin qu'il choisit d'emprunter à la fin du volume précédent (Children of Dune) ce que son père (Paul Atreides) ne s'est jamais résolu à suivre. (Et oui, Paul n'est pas l'Elu... Peut-on alors considérer que Leto l'est ? Ou bien Siona ? La réponse n'est jamais claire !)
Leto a tout du héro de la tragédie grecque : du sacrifice désintéressé à la cupidité, la colère, la haine et l'amour, il traverse l'entièreté du spectre des émotions humaines, allant des sentiments les plus nobles aux intentions les plus viles. Jamais un dieu n'aura été aussi humain que Leto. Jamais un être humain n'aura été si près d'être un dieu tout puissant. Pourtant c'est dans ses derniers instants, lors de cette mort atroce et si peu noble, qu'on saisit la souffrance et la solitude que Leto a traversé. Et ce, pour offrir un avenir à cette humanité si peu reconnaissante que le personnage de Siona incarne à la perfection.
Là est tout le génie d'Herbert : Leto est un tyran, sans aucun doute. Toutefois, Siona qui se veut profondément humaine et veut sauver l'univers remodelé et contrôlé entièrement par le terrible Dieu-Empereur, n'est rien d'autre que l'incarnation de l'égoïsme humain. Cet égoïsme si humain, qui se mesure juste à l'échelle d'une vie humaine et ne veut pas/ ne prend pas en compte le futur. Se pose alors ce dilemme : dans un monde en perdition (Dune, Arrrakis, Rakis - la planète aux multiples noms - se meurt ainsi que ses habitants, l' Epice est contrôlée, les vers ont disparus) l'humanité n'a jamais été aussi peu agitée et sans soucis. Le Dieu-Empereur a annihilé toutes les envies (explicitées et revendiquées) égoïstes de l'humanité et cette dernière ne s'est jamais aussi bien portée, malgré un retour en arrière pour la civilisation. Néanmoins, dans l'ombre, se meut toujours le complot, l'envie de posséder (en particulier l'Epice) et de destituer ce Dieu-Empereur. Cette volonté de faire tomber Leto Atreides sera incarnée à travers le personnage de Hwi Noree, personnage fascinant, et qui conduira à sa perte ce dieu qui est insensible à tout, sauf à l'amour. C'est cet amour de Leto envers Hwi, qu'il sait mortel pour lui, qui lui fait accepter que le Golden Path touche à sa fin et que Siona (qui après un long programme de "breeding", qu'on peut appeler de l'eugénisme) va reprendre l'héritage de ce chemin puisqu'elle en est la création ultime, le but final.
En tant que lecteur, il est difficile d'accepter que ce soit Siona qui hérite du travail né des sacrifices et de la souffrance d'un homme, Leto, qui lui n'a jamais pu outrepasser sa condition et a essayé d'en faire une force. Leto a certes accepté ce rôle avant tout par orgueil, mais aussi par amour désintéressé. Siona, quant à elle, incarne l'hubris dans toute sa splendeur et Leto lui dit ouvertement dans ses derniers instants : "You don't know what is it to love. What have you ever given?". Siona ne donnera rien à l'humanité, si ce n'est des descendants Atreides qui échappent à la préscience. Et qui donc vont ouvrir une autre porte, un autre futur, pour l'humanité.
Néanmoins, il aurait été aussi difficile d'accepter que Leto reste encore des millénaires sur le trône de cet empire aseptisé et sous contrôle total. Il n'y aurait donc pas de "bonne" solution mais il n'y en aurait pas de "mauvaise" non plus... Ce livre n'est pas une réponse, une fin, à la première moitié du cycle de Dune mais un recueil de questions ouvertes sur ce monde, qui en réalité n'est pas si éloigné du notre.
Un véritable chef-d'œuvre qui se démarque des quatre premiers tomes, même si ceux-là plaçaient déjà la barre très haute. Touchant, intelligent et brillamment écrit.