… mais est résolument un des textes de Fantasy les plus intéressants qu'il m'ait été donné de lire ! Il est difficile d'envisager que ce chef-d’œuvre n'ait atteint la France qu'aussi récemment (la première édition date de 1954 !), et pourtant L'Epée brisée a malheureusement raté le coche dans nos contrées jusqu'à ce que les éditions Le Bélial' nous en offrent la traduction en 2014. Les prises de positions de l'auteur durant la guerre du Vietnam seraient à l'origine du manque de réaction du monde de la littérature française, mais chez les américains le livre a fait très vite grand bruit. Et est demeuré durant un temps aussi célèbre qu'un autre pavé de la Fantasy publié la même année, à savoir le Seigneur des Anneaux de JRR Tolkien...
D'ailleurs, la comparaison entre ces deux œuvres aussi radicalement différentes qu'influentes est l'objet de la préface de l'Epée brisée, écrite par Michael Moorcock himself ! Si j'avoue l'avoir trouvé un peu sévère dans son raisonnement au départ, qualifiant élégamment l’œuvre de Tolkien de récit pour enfants difficile à prendre au sérieux, je n'ai pu qu'aller dans son sens une fois le récit terminée. Oui, l’œuvre de Tolkien est immense, et son univers très fouillé et profond. Mais avec ses 300 pages, l'Epée brisée prouve qu'on peut parfaitement conter une fresque tout aussi épique sans pour autant se sentir obligé de l'envelopper dans un decorum aussi énorme. Et il ne confond pas densité et longueur. Là où Tolkien s'est servi des légendes anglo-saxonnes pour créer son récit, Poul Anderson a carrément formé le sien un peu à la façon d'une saga scandinave, et l'a rendu d'autant plus efficace et sombre.
Car oui, l'Epée brisée est un texte extrêmement noir. La Guerre y est horrible, les innocents y meurent par poignées, et les protagonistes ne s'y divisent pas en groupes de salauds et gentils complètement hermétiques. Bien que l'histoire garde une trame très classique (une quête épique dont l'objectif est de récupérer un artefact mystique), elle aborde des thèmes relativement osés et parvient à alterner avec brio les grands moments d'action et les phrases plus poétiques et romantiques qui rappellent les Eddas islandaises. Dans ce drame, tous les individus, qu'ils soient des humains, des elfes ou des trolls, ne sont finalement que des marionnettes qui dansent entre les doigts de Dieux nordiques bien cyniques et cruels. Je n'employais pas le mot épique par hasard un peu plus haut : l'Epée brisée correspond à cette définition dans ce qu'elle a de plus pur, et est une grosse baffe littéraire dans la figure comme on en a bien peu.
En bref, si Anderson n'est pas le créateur d'univers qu'est Tolkien, il est indéniablement un bien meilleur conteur : amateurs de Fantasy, l'Epée brisée est un indispensable absolu que vous devrez tous avoir dans votre bibliothèque ! Quant aux autres, cela peut être un très bon moyen de vous initier au genre, surtout si vous aimez les récits « cruels » dans leur réalisme.