Établissons quelque chose d'entrée de jeu avant d'aborder ce livre : contrairement à la façon dont elle affirme présenter son travail, Peggy Sastre est loin d'employer une démarche scientifique. Elle est, tout au plus, une essayiste qui se contredit elle-même dans les idées qu'elle veut faire passer, et dont les méthodes de sourcage et, plus globalement, de construction de son hypothèse, laissent un peu pantois. C'est dit de façon brutale je le sais, mais je pense qu'il est indispensable de mettre les choses au clair avant de plonger tête baissée dans La Domination masculine n'existe pas.
Dans ce livre, donc, Peggy Sastre prétend nous présenter « l'évoféminisme », soit un féminisme qui pense le rapport entre les hommes et les femmes à travers la théorie Darwinienne de l’évolution et de la sélection naturelle, à la manière de l'évopsy. C'est en soit un concept intéressant : Sastre trouve désolant le dogmatisme du féminisme « mainstream » actuel, qui rejette en bloc les théories essentialistes pour n'accepter que les théories constructivistes, et qui préfère s'attacher à des concepts non validés scientifiquement mais qui vont dans le sens de leurs idées pré-établies.C'est en soi une idée valable, mais c'est aussi un très dangereux biais cognitif qui va en réalité pourrir toutes les tentatives de réflexion scientifiques.
Sastre va en réalité passer son temps à expliquer les rapports hommes / femmes au travers d'une sexualité primaire à seul but reproductif, parfaitement hétérosexuelle, tout en écartant d'office une multitude de concepts pourtant acceptés par les théories darwiniennes et qui viendraient profondément nuancer ses dires (plaisir sexuel, homosexualité, asexualité etc.). Le « minoritaire » n'est pas digne d'intérêt, ni d'études, qu'importe si ça représente parfois 1/3 d'une population (je reviendrai plus tard sur cet exemple). Elle va ainsi dérouler toutes une listes de théories bancales, souvent peu ou mal sourcées (études très orientées et mal élaborées, non confrontées).
Un bon exemple est celui de la culture du viol : selon Sastre, la culture du viol n'existerait pas, parce que le viol est pénalement réprouvé. Outre le fait que ce genre de réflexion ne fait que prouver qu'elle ne maîtrise pas le concept de rape culture qui est bien plus global que la simple action de violer quelqu'un, cela montre également le manque de nuance dont elle fait preuve dans ses affirmations. Peut-on dire de la même façon, que le racisme et les automatismes culturels racistes n'existent pas puisque la loi interdit les manifestations racistes ? Que l'homophobie n'existe pas puisque le mariage homosexuel est autorisé ?
Par la suite, elle explique qu'en réalité, le viol n'est pas une manifestation de domination ou un instrument d'assise d'un pouvoir, comme il est communément admis. Ce serait plutôt une stratégie reproductive purement et simplement. Exit le fait que cela nie les réalités suivantes : une partie non négligeable des viols (environ un 1/3) se fait sur des personnes non fertiles (hommes, enfants, femmes âgées…), se font avec préservatif ou objets, ou finissent purement et simplement en meurtre. Cela finit même par conduire même à des réflexions contradictoires. Ainsi l'autrice reconnaît que le viol conjugal n'a pas forte valeur reproductrice puisque le « mâle » a libre accès à sa femelle en permanence, tout en reconnaissant que ce type de viol est pourtant très représenté dans nos sociétés. A la place, le viol conjugal serait pour elle une stratégie qui dissuaderait la femelle d'aller voir ailleurs – une affirmation pas plus sourcée que les précédentes.
Sastre affirme également que scientifiquement parlant, le premier traumatisme du viol est le risque de grossesse. Quelle source a t-elle cette fois ? Aucune, si ce n'est un article unique qui date des années 70, s'applique aux seuls Etats-Unis, et n'aborde pas la question de la naissance de la contraception. A aucun moment elle ne prend en compte la dimension psychologique, ni la donnée évolutionniste (un comble !). A l'écouter, cela a toujours été ainsi, sur 100 000 ans d'évolution, de l'époque des primates à celle des pilules et des stérilets.
Bref vous l'aurez compris, le bouquin est une catastrophe. Une catastrophe d'autant plus tragique que le concept d'évoféminisme en lui-même est loin d'être inintéressant, et qu'il est toujours enrichissant d'entendre le point de vue de féministes situées à l'écart de tout militantisme. Paradoxalement, Peggy Sastre présente des théories qui pourraient bien avoir un fond de vérité scientifique, mais n'a absolument pas la méthode requise pour les valider correctement. Elle est, avant tout, une philosophe qui s'aventure sur des terrains qu'elle ne maîtrise absolument pas, et elle n'arrive finalement qu'à planter son propre travail et à faire du mal aux thèses qu'elle veut si fortement défendre.
Peggy Sastres tombe en fait dans les même biais que les féministes qu'elle entend dénoncer : obnubilée par ses idées, elle refuse de les confronter aux études qui la dérange, quand bien même ces dernières seraient bien plus nombreuses que les quelques unes qu'elle parvient à trouver. Quant aux sources qu'elle utilise, elles sont bien souvent bien plus nuancées que les thèses qu'elle entend confirmer grâce à elles, voire ont des méthodologies plus que discutable.
C'est là que le lecteur honnête se doit de se poser quelques questions : est-ce que moi aussi, j'ai ouvert ce livre pour trouver une confirmation de mes propres idées ? L'ai-je au contraire ouvert parce que j'étais en désaccord ? Est-ce que j'aime le contenu brut du livre, ou est-ce que j'aime plutôt sa potentialité - ce qu'il devrait être, s'il avait été écrit avec une vraie méthode scientifique ? Ai-je été influencé par le fait que l'autrice s'est présentée comme une experte et a sourcé son livre ? Ai-je seulement vérifié les sources en question ? On peut tout à fait adhérer à l'évoféminisme, mais attention néanmoins à ne pas trop rapidement valider des travaux qui ne font pas du tout honneur à ce champ d'étude, comme c'est le cas ici.
En deux mots : quel gâchis. Et surtout quel danger...