« Je suis une contradiction » annonce, dès le premier épisode, le pape Pie XIII, incarné par Jude Law. Une contradiction qu'il compare à Dieu, unique mais et trois, ainsi qu'à Marie, vierge et mère à la fois. Autant le dire de suite, c'est bien cette affirmation qui va guider cette série très particulière, mais aussi très intéressante.
Pie XIII, ou Lenny Belardo de son véritable nom, est le nouveau chef de l’Église catholique romaine. Très jeune, il doit son élection aux manigances du cardinal Voiello, qui croyait voir en le prêtre discret qu'il était une poupée facilement manipulable. Malheureusement pour lui, Pie XIII est tout sauf malléable à loisir : arrogant, ambitieux et déterminé, il est également extrêmement conservateur en dépit de son âge et mûrit le projet de chambouler l’Église. Quitte à se faire haïr de ses pairs et des croyants.
J'avais lu à droite à gauche beaucoup d'articles qui vantaient le ton critique de la série envers l’Église catholique, et résumaient essentiellement à cela son concept. Beaucoup la surnomment même déjà « le House of Card du Vatican », mettant en avant les intrigues politiques de tout bord. Or, en réalité, The Young Pope est beaucoup plus que cela. Tantôt critique, tantôt pétrie de bienveillance pour ses personnages, certes bardés de défauts mais tous très profondément humains, elle ne se contente pas de seulement aborder le royaume des hommes et sa politique. Elle va bien plus loin, s'interroge sur le rapport qu'entretiennent tous ces prêtres et croyants avec leur Dieu, sur leur condition d'homme et de pêcheur, et sur les rapports qu'ils entretiennent avec le reste de la Communauté des croyants.
Sorrentino, le réalisateur, balayait lui même l'avis de certains médias en annonçant que The Young Pope « n'est pas une provocation », et je le crois. Bien sûr, sa série est par moment absurde et aime cumuler quelques clichés religieux – mais à aucun moment il ne semble taper gratuitement sur le Vatican. S'il met parfois en avant le cynisme des cardinaux et les failles du système, il présente tout autant l’extrême fragilité de ces hommes et femmes, leurs doutes et interrogations et leurs amours, licites ou non. On rit bien entendu de la passion immodéré de Voiello pour le football et les statuettes préhistoriques, on s'amuse de la quantité de peluches que possède Gutierrez, mais très vite on réalise à quel point tout cela n'est finalement révélateur de leur extrême solitude, et on se prend forcément de compassion pour eux. Et c'est là que réside toute la beauté de la série.
Jude Law est bien entendu la pierre angulaire du projet. Il incarne son pape avec énormément de justesse, malgré la difficulté de la tâche. Car Pie XIII est complexe : abandonné enfant par ses parents, il possède une relation plus que houleuse avec Dieu. Au moment de son élection, il a même cessé de croire en lui - pas en son existence propre, mais en sa capacité à agir pour le bien des hommes. C'est dans la souffrance et la peur qu'il a trouvé sa voie, et c'est ainsi qu'il veut que les croyants trouvent désormais la leur. Il veut revenir à une « pureté » religieuse très conservatrice, tout en étant fan de cigarettes, de coca cherry, et de techniques de communications modernes. Tantôt bienveillant, tantôt horrible, il flirte avec toutes sortes d'émotions et Jude Law est vraiment excellent à ce jeu. Excellent au point de se faire oublier, c'est dire ! Je crois sincèrement que ce rôle restera comme un des plus grands de sa carrière.
Question réalisation, je ne connais pas bien le travail de Sorrentino donc je ne pourrais pas aller loin dans l'analyse, mais on sent que le bonhomme est avant tout un cinéaste. Chaque plan semble parfaitement pensé, chaque éclairage, chaque déplacement a un but précis. Certaines séquences sont très comiques dans leur construction, d'autres s'apparentent à des tableaux de maître. Il me faudrait sans doute examiner un peu mieux la filmographie du monsieur pour voir si c'est en continuité avec ses travaux habituels, ou c'est un nouvel exercice de style. Quoiqu'il en soit, c'est plutôt bien fait.
Je conclurais par ceci : ne regardez pas The Young Pope seulement pour ses complots et sa façon de montrer les mécanismes du pouvoir au Vatican. Même si c'est effectivement une des thématiques de la série, c'est surtout pour l’extrême profondeur et humanité de ses personnages qu'il faut la regarder. The Young Pope est formidable parce qu'elle peut présenter le pire et le meilleur de ces humains, sans pour autant les juger ou les ranger dans des petites cases narratives méchants / gentils. Et mine de rien, il y a quelque chose de carrément chrétien et poétique dans cette démarche...