L'étranger est une lecture souvent appréhendée durant l'adolescence qui aborde prioritairement deux thèmes classiques de l'œuvre de Camus, l'absurde et la justice.
A ce titre, on est soit admiratif devant un roman qui semble répondre au mal être que l'on vit pendant cette période angoissante de la vie, quand on croit que le monde entier ne nous comprend pas, ou, on peut inversement être déçu d'un roman ou tout nous semble passif, jusqu'au meurtre même.
Mais comme tout roman capital, s'arrêter à une lecture adolescente serait passer à côté de ce que Camus voulait nous dire et ce que Camus nous a dit, parle encore.
Car l'étranger n'es pas un de ces romans où la finalité serait de décrire un mal-être plus ou moins légitime mais pose des questions existentielles par le prisme d'un personnage atypique, un personnage dont la conscience serait comme inactivée.
Sartre avait, je crois, très bien décrit cette image d'une personne qui serait derrière une vitre parlant au téléphone dont on verrait les gesticulations mais sans en entendre le son, ce qui résulte en est l'absurde.
La vitre, c'est Meursault.
Deux parties pour ce livre: celui qui juge et celui qui est jugé.
Celui qui juge, Meursault, ne juge pas. Une conscience passive à l'extrême qui décrit des situations sans jugement, même sur les questions graves de l'amour ou du mariage, voire de la mort.
La deuxième partie inversera les rôles avec un tout autre effet.
C'est cette lecture qui avec l'expérience et notre progression, nous amènera sur des questions plus philosophiques que sont les tenants et les aboutissants de l'absurde et l'Etranger reste la meilleure porte d'entrée pour appréhender toute la philosophie humaniste et libertaire de Camus, qui demande encore à être écoutée, car si la révolte existentialiste de Sartre n'est pas tant un humanisme au final, la vision de Camus outrepassait les pièges historiques et dogmatiques de l'époque, et tout le développement qu'il a produit à une époque difficile où la vision binaire de choisir un camp prévalait plus que tout, est aujourd'hui, je crois, une partie de la réponse à nos préoccupations.
Camus, bien que malade toute sa vie (de la tuberculose), bien que vivant les affres de la guerre, a produit une philosophie solaire qui ne sera peut-être pas perçue dans la morne vie de Meursault, une philosophie empreinte de liberté, de joie, de combat juste, malgré tout, et qui commence par cette question importante: comment jugeons-nous?