L'Étranger
7.7
L'Étranger

livre de Albert Camus (1942)

ATTENTION SPOILERS

Je dirais qu'il faut commencer à lire Camus avec ce roman, paru en 1942. Court, sobre, il décrit mieux que n'importe quel autre de ses livres sa philosophie de l'absurde.

Jamais roman n'aura aussi bien porté son titre. Meursault, le narrateur, est étranger à tout. A ce qui l'entoure, à lui-même. Il vit dans l'indifférence la plus totale. Je ne résiste pas à recopier ici le tout début du roman, un incipit juste culte et succulent.

"Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile: «Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.»
Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.
L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai même dit : «Ce n'est pas de ma faute.» II n'a pas répondu. J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n'avais pas à m'excuser. C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'était pas morte. Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle."

Voilà. Et tout le roman, jusqu'à la dernière page, gardera ce ton détaché. Froid et distant. Les événements qui toucheront notre héros, et l'amèneront jusqu'à commettre un crime de sang-froid particulièrement violent, le laissent de marbre, et s'évanouissent en lui sitôt après s'être déroulés, ne lui laissant aucun souvenir, qu'il soit agréable ou douloureux. Comme une machine dans un corps d'homme. L'amour ? Il n'en a cure. L'amitié ? Idem. La mort de sa mère ? Bah ! Ici il nous délivre à la première personne une succession de faits, de manière objective, sans analyses ni avis particuliers, de la mort de sa mère jusqu'au procès de son crime où il terminera la tête tranchée. Comme si tout cela se déroulait devant lui sans qu'il ne puisse y faire grand chose. L'écriture de Camus, certains la trouveront simple. Sujet, verbe, complément. Pas de frivolités, d'extravagances, de descriptions interminables, ou de retranscriptions d'états d'âme. Comment aurait-il pu en être autrement avec un tel personnage pour héros ?

Mersault est-il pour autant détestable ? Non. Parfois il apparaît même sympathique. Son seul problème, qui lui sera préjudiciable jusqu'à la fin, c'est cette indifférence. Et cette franchise. Jamais il ne ment. Il reste toujours crédible envers lui-même. Pas question de faire semblant. Aussi tous conviendront d'une chose : c'est un handicapé social, un monstre sans émotions, que la société doit éliminer, parce qu'il n'a pas réussi à s'y insérer. Il est nu, jamais la morale n'a eu d'emprise sur lui. Et, au fond, n'est pas condamné pour le meurtre qu'il a commis, mais pour n'avoir pas pleuré lors de la mort de sa mère, témoins à l'appui. Pour être en dehors des normes sociales, être trop différent, trop marginal. Lui restera intègre et sincère jusqu'au bout. Délivrant même au lecteur un curieux message sur son bonheur.

Un livre aux interprétations multiples, qui n'en finit pas d'être décortiqué dans tous les sens. Roman simple mais pourtant complexe et ambiguë, et indispensable.
LeChiendeSinope
9
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le 4 mai 2010

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