Être une femme au XVIe siècle, c'est pas si facile !

Dix personnes de la noblesse, de différentes générations, cinq femmes et cinq hommes, se retrouvent réunis, du fait de diverses vicissitudes, dans une abbaye. Pour passer le temps, après une heure de lecture des Évangiles et avant d'assister aux Vêpres, chacun raconte une histoire. Dix personnes, dix histoires par jour, pendant dix jours. Quand une histoire est terminée, celui ou celle qui l'a racontée décide de la personne qui doit se charger de la suivante...


Dix fois dix, cent nouvelles, malheureusement la Grande Faucheuse a fait que le tout n'en contient que 72. Celle à qui on doit cette œuvre inachevée s'appelle Marguerite de Navarre. Pas vraiment n'importe qui. Reine de Navarre, comme son nom l'indique, mère de la future mère du futur Henri IV et puis surtout sœur du roi de France François Ier.


Bon, c'est bien beau et de bien haute noblesse tout ceci. Mais est-ce que la sœurette avait des choses intéressantes à dire ? Ben oui, aussi bien sur la société de son époque que sur l'être humain en général.


Sous forte influence de l'humanisme italien, dont évidemment le Décaméron de Boccace (du moins pour ce qui est de la structure !), avec d'évidentes connaissances sur le milieu de la Cour, tout en y insufflant une forte tonalité morale et souvent religieuse, Marguerite présente, sans concession, ce qu'était la vie à son époque. Et on ne peut pas dire que le portrait en soit très reluisant, notamment en ce qui concerne la condition de la femme.


Même si on a le droit à quelques beaux portraits féminins négatifs de pures conn.... sachant très bien jouer sur l'hypocrisie de leur époque et sur leur talent de manipulation pour parvenir à leurs fins, d'autres, un brin casse-couilles, qui veulent se faire mériter parfois très longuement, la plupart d'entre eux représentent des femmes victimes de ce qui était, pour employer une notion anachronique par rapport au XVIe siècle, du harcèlement sexuel, si elles n'étaient pas carrément violées.


Si pratiquement tous les milieux sociaux ne sont pas épargnés, c'est surtout celui de l'aristocratie, sachant bien se dissimuler sous des apparences bien raffinées et bien polies, qui s'en prend le plus dans la gueule à ce niveau-là. Quoique les religieux ne soient pas en odeur de sainteté non plus (l'écrivaine n'avait pas visiblement une affection bien profonde pour les cordeliers, vu le nombre de fois qu'elle en parle d'une manière très peu flatteuse !), visiblement plus occupés par ce qu'ils ont en dessous de la ceinture que de spiritualité, à abuser les fidèles qu'à les servir.


Dit comme cela, je pourrais faire croire qu'il s'agit d'un ensemble misandre. Non, loin de là. Il y a du bon et du mauvais dans les deux sexes. Le tableau est très nuancé. En fait, c'est surtout la dénonciation d'une époque où les femmes sont obligées de suivre des règles qui ont été édictées par des autorités, exclusivement constituées et dominées par les hommes.


En fait, pour servir les objectifs d'être le plus juste et subtil possible, une idée de génie de l'auteure, c'est d'avoir donné une véritable personnalité à chaque narrateur. En conséquence, selon qui raconte quoi, qu'il ou qu'elle soit joyeux de nature ou au contraire atrabilaire ou alors porté sur l'édification, on va avoir des farces, comme celles de la période médiévale, mais adaptées aux réalités sociales et culturelles de l'époque contemporaine de la femme de lettres, comme des récits profondément tragiques, des histoires immorales comme des histoires morales.


Une autre idée de génie, toujours pour être juste et subtil, c'est de faire suivre la nouvelle racontée par un débat où chacun expose son opinion. Ce qui donne lieu souvent à de farouches oppositions, à des points de vue radicalement différents ; cela fait que fait le recueil ne tombe jamais dans des travers univoques, empêche tout jugement bien arrêté et pousse le lecteur lui-même à réfléchir (il m'est arrivé de modifier, à travers le propos pertinent de tel ou tel personnage, mes propres pensées sur ce que je venais de lire !).


En résumé, si vous voulez comprendre ce qu'était la France au XVIe siècle ou si vous voulez tout simplement voir que l'être humain de cette époque avait beaucoup plus de similitudes avec celui d'aujourd'hui qu'on ne le pense, l'Heptaméron de Marguerite de Navarre, recueil de nouvelles absolument remarquable, est exactement l'œuvre parfaite pour tout cela.

Plume231
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le 15 janv. 2020

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