L'homme qui mit fin à l'histoire, de Ken Liu, brille par le traitement de son sujet, multipliant les perspectives, des scientifiques et représentants de pays aux acteurs de l'histoire passée, jusqu'aux opinions les plus légères saisies chez des personnages dont la fonction n'est pas la plus à même de saisir les tenants et les aboutissants question sciences de la matière ou histoire mais dont la présence éclaire le lecteur sur l'atmosphère dans laquelle se déroulent les évènements.
Le roman, à la mise en page d'une pièce de théâtre, nous alerte sur notre rapport à l'histoire. Doit-elle être le fait d'une étude scientifique ou bien l'occasion pour les traumatismes de se résoudre, sinon de d'exacerber ?
Comment la mettre à l'abri des usages du pouvoir, du présent qui cherche à se justifier ?
Quelle justice pour les crimes du passé qui s'efface ?
Quelle place, en définitive, accorder à l'affect ?
Si l'ouvrage se termine sur une touche somme toute poétique, je regrette que la mise en page théâtrale employée par l'auteur, quoique pratique pour présenter les idées, étouffe à peu près tout style, laissant un récit au présent et des discours le plus souvent descriptifs.
On pourra regretter, comme pour le style, la réduction de la science fiction à un procédé prétexte pour disserter surtout sur les aspects juridiques entourant le rapport à la mémoire ou même le prix (émotionnellement, philosophiquement, culturellement, psychologiquement) d'un unique aller-retour, ce qui aurait pû être l'objet d'un simple essai ou bien d'un mémoriel en bonne et due forme.
Mais n'est-ce pas justement l'apanage de la Science-fiction d'explorer toutes ces conséquences, de cerner le rapport au temps que la technologie vient modifier ?
Ken Liu le fait en allant à l'essentiel (parlons peut-être ici de soft-SF) en réduisant les cotés hard de la science au minimum pour mieux se concentrer sur les aspects sociaux, moraux, ou psychologiques.
Pour avoir la combinaison de la réflexion sociale, de la spéculation hard détaillée, tout en s'évadant dans les étoiles, Le Problème à trois corps, de Liu Cixin, désormais popularisé par deux adaptations en séries, ferait plus l'affaire (on y trouve aussi un style plus inspiré quoique la poésie n'est pas forcément plus présente).
7.5/10 c'est malgré tout la moyenne de Sens critique à ce jour