L'Île
8.1
L'Île

livre de Robert Merle (1962)

Résumé (spoiler)


Après avoir lu Malevil, je retrouve une histoire dont l’architecture scénaristique est impressionnante, qui s’élabore sur le huis clos d’une île où viennent échouer mutins britanniques et voyageurs tahitiens, les premiers poussés par leur forfaiture, les seconds par l’aventure.
Comme dans Malevil, Robert Merle nous fait observer avec force détails et précisions la vie d’un groupe telle celle d’un organisme, de sa constitution vers son organisation tournée vers la (sur)vie, puis des problématiques qu’il rencontre jusqu’à sa déliquescence. Là où le groupe de Malevil a pu s’en sortir, parce qu’un lien fort d’amitié unissait déjà les protagonistes avec la catastrophe, et, partant, que les menaces s’en sont trouvées avant tout extérieures, ce groupe des Iliens va périr de ses dissentions internes sur fond d’un groupe-agglomérat que seule l’occasion a constitué.
Pourtant, tout n’avait pas si mal commencé : l’île avait été trouvé, déserte et avec des ressources au combien salutaires, puis la coopération s’était mise en place qui profitait à tous : construction d’un village, corvée d’eau, cueillette, pêche, cuisine et repas en commun, etc. Les hommes s’étaient même mis d’accord sur une organisation politique : le chef du bateau et son officier ne devaient avoir ici qu’une voix comme les autres, pour une démocratie au suffrage majoritaire garantissant que chacun ait son mot à dire. Les hommes ? A vrai dire, seulement les Britanniques : les Tahitiens sont écartés d’emblée de l’Assemblée, par la décision d’une majorité aux mains d’un marin écossais, Mac Leod, lequel exerce sur certains mutins une emprise dont la complexité des fils se démêlera peu à peu. Toujours est-il que cette majorité tyrannique n’aura alors de cesse de vexer les Tahitiens, notamment quant au partage des femmes (moins nombreuses sur l’île) et au partage des terres, deux points saillants qui vont cristalliser les tensions et les ressentiments et, immanquablement, ouvrir sur la guerre. A la fin, il ne reste parmi les hommes que Purcell, britannique, personnage principal et narrateur, et Tehahiti, chef tahitien. Selon la coutume, ce dernier devrait tuer Purcell, mais cette vengeance est retardée puis effacée par la position ambigüe du britannique : non seulement il est un pacifiste résolu qui a refusé de prendre les armes aussi bien pour un camp que pour un autre, mais surtout il est le tané (mari) d’Ivoa, cousine de Tehahiti, dont la descendance est commune et sacrée. Aussi Tehahiti décide-t-il de laisser la vie sauve à Purcell, mais, en contrepartie, de le faire quitter l’île avec Ivoa. Juste avant leur départ, Tehahiti souhaite éprouver la pirogue que Purcell vient de bâtir. Les deux partent ainsi sur les flots, bientôt surpris par une tempête apocalyptique. Ils ne doivent alors leur salut qu’à leur courage coopératif qui leur permet finalement d’échouer sur la terre ferme.


Deux rapides points d’analyse


-Biologie politique, la cité et ses équilibres ne tiennent à rien
Purcell est effectivement habile, sans connotation négative : il a souvent l’intelligence des situations, des causes et des conséquences, des psychologies, etc. Et cependant, il ne comprend que trop tard l’inimitié de Wilde, pourtant si décisive dans le cours des évènements. Et pour cause, tant cette inimitié prend appui sur un détail, qui plus est involontaire de la part de Purcell : un « levé de sourcils » interprété mécaniquement comme mépris et rabaissement par la psychologie - par trop meurtrie - de Wilde. Merle semble bien jouer de cet oxymore, la significativité du dérisoire, pour faire saisir toute la complexité des rapports humains et sociaux et leur caractère si versatile. Pour faire saisir, au sein de cette complexité, la puissance des affects sur fond de besoin de reconnaissance.


-Biologie politique, le pacifisme
La question du pacifisme traverse tout le livre, puisque cette idéologie anime le personnage principal, Purcell, et est reconduite dans des situations toujours nouvelles. Faut-il renoncer au principe de « la vie humaine comme valeur suprême et sacrée » quand une individualité menace toutes les autres ? Purcell refuse d’abord que Baker tue Mac Leod quand ce dernier lui prend sa femme, écarte les Tahitiens du partage etc. Purcell n’aura de cesse de vouloir se montrer juste et équitable avec chacun, Tahitiens compris, il utilise le débat argumentatif, les reproches, le retrait de l’Assemblée, toutes armes rhétoriques et réglementaires, même quand Mac Leod prend les armes et commence par tuer deux Tahitiens. Il exprime fermement son désaccord, sa colère, mais il ne prend toujours par les armes au profit des Tahitiens, ce que ces derniers lui reprocheront amèrement. R. Merle va plus loin dans cette problématique en plaçant Purcell en état de légitime défense, en duel contre un Tahitien faisant tout pour le tuer. Purcell se prépare, prêt à mettre l’assaillant hors d’état de nuire. Or le Tahitien se tue accidentellement avec sa propre arme. Tout s’est passé très vite, Purcell n’est pas sûr que son bourreau soit mort (il l’est en vérité) : il lui assène alors plusieurs coups de couteau. Par où l’on est conduit à penser que, dans certaines situations extrêmes de survie, le fervent défenseur du pacifisme peut sacrifier à son principe pour sauver sa propre vie. Ce qui semble effectivement humain et assez réaliste.
Mais la question posée en toile de fond est la suivante : le pacifisme de Purcell est-il coupable ? Il était fort à prévoir que l’ambition, l’avarice, le racisme même de Mac Leod conduiraient à une tuerie. Le scénario lui-même semble suggérer que la mort d’une individualité, Mac Leod, aurait pu en épargner beaucoup d’autres. Sans doute le pacifiste pourrait répondre que le moindre écart au principe, même pour tuer un meurtrier qui ne fait nul cas du principe lui-même, tue le principe en même temps que l’homme, et crée un précédent qui ouvre la voie à d’autres meurtres moins défendables sur le plan moral. N’empêche que l’entêtement de Purcell a de quoi agacer, et cet agacement du lecteur, intéressant, contient de quoi s’interroger pour quiconque l’a éprouvé.

Kevin-1677
9
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le 26 juil. 2021

Critique lue 161 fois

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