Longtemps au cours de cette lecture, je me suis demandé comment John Irving faisait-il pour accrocher autant son lecteur.


John Irving est l’un des rares écrivains qui privilégie la plume véritable à l’ordinateur , il affirme ainsi mieux maîtriser son style et la destinée de son histoire. Il connaît exactement les tenants et aboutissants de son intrigue au moment où il couche l’incipit sur le papier. De ce fait, tout est parfaitement détaillé et contrôlé dans des pavés allant pourtant de 400 à 700 pages. L’oeuvre de Dieu, la part du Diable, dans sa traduction française chez Point, compte exactement 724 pages.


La méthode de John Irving : à chaque nouveau chapitre il réécrit intégralement le dernier chapitre !


Irving est un architecte : au cours d’une année environ il travaille à la construction de son intrigue et rédige ensuite son ouvrage sur plusieurs années. Rien n’est donc laissé au hasard et c’est la raison pour laquelle aucun élément du récit ne tombe dans les limbes de l’ennui. C’est d’ailleurs cette même rigueur narrative qui permet au lecteur de reprendre l’histoire sans se noyer dans le flot des personnages et des péripéties.


John Irving parvient en effet à envelopper son lecteur, à prendre sa main et à lui dire « Viens je vais te montrer un orphelinat dans le Maine » – « Je vais aussi te raconter l’histoire de ce verger ». Toi lecteur, tu crois que ces histoires dans l’histoire ne sont que des digressions, attends voir que tout s’imbrique dans cette fresque fabuleuse qu’Irving a spécialement peinte pour toi.


On se laissera ainsi conter l’histoire tragico-drôlatique de ce chef de gare (incarné par Irving himself dans le film adapté) mort d’avoir eu peur et d’avoir porté trop de foi en sa « religion par correspondance ». On aimera les nurses attentives aux enfants de l’orphelinat, on s’appropriera le « d’accord » d’Homer. On détestera peut être la robuste et pas moins cardinale, Mélony. On aura envie de crier à Homer de revenir à l’orphelinat. Bref, on adhèrera au projet d’Irving, on s’imaginera avec une prouesse de détails le monde d’Homer et du docteur Larch, leur odyssée, leurs combats, leurs quêtes.


On admirera enfin la sagesse d’éléphant d’Irving lorsqu’il évoque l’avortement dans la bouche du docteur. Ce dernier fait en effet preuve dès le départ, d’un recul inouï qu’il tente d’inculquer à son élève, Homer.



« Si l’avortement était légal, les femmes auraient le choix – et toi
aussi. Tu pourrais alors te sentir libre de refuser de les avorter,
parce que quelqu’un d’autre accepterait. Mais les choses étant ce
qu’elles sont, tu es pris au piège. Les femmes sont des victimes et
toi aussi ».



L’oeuvre de Dieu, la part du diable c’est aussi l’Amérique des années 1940, les cinémas en plein air, l’invention du chewing gum, le racisme ordinaire, Pearl Harbor, la Guerre du pacifique. Le tout avec le talent qu’a Irving à se servir de la grande histoire pour démêler la grande odyssée d’Homer et du docteur Larch.


Et puis il y a cette fin à couper le souffle, significative, symbolique, somme d’une longue et douloureuse odyssée. La dernière page et le regret de ne plus retrouver Homer le soir venu.

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le 17 oct. 2018

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