Je l'admets sans ambages, dès qu'il s'agit des aventures d'un animal personnifié, je me presse au portillon comme une groupie de bas étage. C'est la petite fille en moi qui, biberonnée au Jojo Lapin, Casimir, Petzi et consorts continue de réclamer son bestiaire et son lot d'émerveillement.
Bénie soit-elle.
Il n'y avait donc aucune chance pour qu'une quatrième de couverture promettant un ours qui trouve un manuscrit enfoui au pied d'un arbre, le subtilise et débarque en ville pour y devenir un écrivain à succès me passe sous le nez.
"L'ours qui franchit la montagne" - qui eût été selon moi une traduction plus fidèle et plus réussie du titre original - est une fable moderne, fort bien racontée, caustique mais sans méchanceté, avec un sens du rythme assez parfait.
Les chapitres sont courts et vifs et le va-et-vient entre la nouvelle vie clinquante de l'ursidé usurpateur et les déboires de l'auteur détroussé est bien dosé. L'auteur opère d'ailleurs un subtil jeu de vases communicants entre ses deux héros: au fur et à mesure que, dans la lumière, l'un se "civilise" en portant une cravate, en s'accouplant avec les femelles sapiens étrangement disponibles et parfumées et en s'empiffrant de Cheesy Things à longueur de journée, l'autre, dans l'ombre et l'anonymat, se métamorphose, ses sens et sa bestialité s'aiguisent tout autant que sa propension à l'hiberner.
Certes, braquer un projecteur peu flatteur sur une caste, un système en vase-clos en y introduisant un élément exogène n'est pas révolutionnaire. Mais Kotzwinkle rend le procédé truculent en orchestrant un télescopage comique entre cet élément, ici un grand ours brun séduit par un monde de palabres et de sucreries en libre-service et qui tente tant bien que mal de garder son animalité sous contrôle et la horde adulatrice du monde médiatiquo-littéraire qui se pâme au moindre de ses grognements monosyllabiques.
C'est donc bien les aventures incongrues d'un ours au cirque que nous conte avec malice et délectation l'auteur où les hommes et bêtes ne sont pas forcément ceux que l'on croit.
Bonne lecture.
Amitiés,
Dustinette
P.S.: Pour ceux qui l'envisage, ne pas hésiter à opter pour la VO, l'écriture est d'une simplicité stylistique cristalline, accessible et très agréable.