Dans La belle amour humaine, un personnage a l'habitude, lors d'une première rencontre, de s'adresser ainsi à son interlocuteur : "De quoi parlions-nous ?" Comme une invitation à poursuivre une conversation en dépassant les présentations d'usage. Le roman de Lyonel Trouillot est composé d'un premier monologue assez long, d'un second plus bref et, enfin, de la narration d'une veillée mortuaire aux accents poétiques. L'écrivain haïtien raconte son pays avec une ironie tranchante, son dénuement, sa solidarité, son humanité. Mais aussi, de façon subtile, ses hiérarchies sociales et le racisme larvé, mulâtres face aux noirs ébène, qui, avec la corruption, gangrènent la société haïtienne depuis des lustres. Et puis, Trouillot s'en prend aux touristes, ces visiteurs bardés de certitudes, qui s'apitoient ou rudoient, mais ne comprennent strictement rien aux valeurs de cette nation. Quant aux deux figures du passé qui "surplombent" le livre, celles d'un colonel et d'un homme d'affaires, qui "prennent tout et ne laissent rien aux autres que des restes, quand il reste des restes", ils sont comme le symbole de tous ceux qui ont dirigé Haïti, dictateurs sans vergogne, et qui ont fait son malheur. "Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?", telle est l'interrogation qui revient à plusieurs reprises dans La belle amour humaine. Il n'y a pas plus de réponse à cette question qu'à cette quête d'identité de la jeune femme qui, dans le roman, cherche où sont plantées ses racines. La langue élastique et insolente de Trouillot s'entortille autour de l'âme haïtienne comme un serpent. Bien beau livre, en vérité.